Chapitre 21

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Malgré ses bonnes résolutions, Hélios ne partit pas le lendemain. Ni le jour d'après. Ni même le suivant. Non. Une bonne semaine après son arrivée, il était toujours à traîner sur le yacht, allongé sur un transat avec ses lunettes de soleil sur le nez. Il prenait soin de toujours conserver un haut.  

Une nouvelle écaille était apparue non loin de la suivante, puis une autre encore plus grosse. Tout allait cependant bien tant qu'elles restaient dans des endroits discrets. Et tant que ses mains ne redevenaient pas palmées. Il ne pouvait tout de même pas se promener avec des gants en plein été ! 

Le triton soupira en regardant la mer danser. Quelques nuages étaient en train de se rassembler à l'horizon et il se sentait morose. Sa famille lui manquait, même sa sœur qui lui cassait pourtant souvent les pieds. Ptolémée lui manquait aussi, bien qu'il l'ait vu récemment. Et ses poissons lui manquaient. Il espérait que ses parents ou Sélénée pensaient à les nourrir correctement. Il aurait sans doute dû leur laisser des instructions à ce sujet. Platon et Aristote avaient des goûts très spécifiques. Ils n'étaient pas non plus de grands amateurs de plancton. 

La porte menant au pont s'ouvrit et Grégoire passa la tête. 

— Barbara et moi allons visiter l'aquarium de Monaco, dit-il. Vous voulez venir ? 

Maude mit un marque-page dans le roman qu'elle était en train de lire sur un transat voisin de celui d'Hélios. 

— Ok, dit-elle sans grand enthousiasme. 

Elle paraissait à la fois contente pour Grégoire et Barbara et en même temps un peu agacée par leur relation fusionnelle car ils passaient beaucoup de temps seuls tous les deux. 

L'aquarium en question était situé dans un immense bâtiment perché au-dessus de la mer. Ils achetèrent tous les quatre des billets et descendirent en direction du sous-sol. 

Hélios observa les poissons nager en rond dans les différents bassins. Ils étaient de toutes les couleurs et de toutes sortes. Certains étaient de la même espèce que Platon et Aristote et sa nostalgie ne fit que se renforcer. 

Barbara prenait des milliers de photographies avec son téléphone portable. Elle semblait beaucoup s'amuser. Grégoire avançait les mains dans les poches, aussi blasé que d'habitude. Il avait l'air de s'ennuyer. Le petit triton crut sentir son regard posé sur lui à un moment donné, mais le jeune homme avait aussitôt détourné les yeux. 

Les salles s'enchaînaient dans la pénombre. Hélios était en train de contempler une sorte de colonnes contenant des méduses en mouvement lorsqu'il se sentit pris d'un vertige. Une perspective horrible le fit soudain frissonner. Il imagina soudain l'un des bassins de l'aquarium rempli de sirènes et tritons pris au piège sous le feu des projecteurs. Est-ce que les humains seraient capables d'infliger un tel sort au peuple de la mer s'ils découvraient son existence ? Tout était possible, avec eux. 

Hélios recula. Il avait l'impression d'étouffer, avec cette lumière tamisée et tous ces gens qui se pressaient contre les vitres. Il y avait beaucoup d'enfants excités qui couraient dans tous les sens en criant. Il en avait mal aux oreilles. 

Hélios sursauta lorsque Grégoire effleura son bras. 

— Tout va bien ? s'inquiéta le jeune homme. Tu as l'air ailleurs. 

Le triton lui jeta un regard désespéré. Il ne se sentait pas bien. Il n'était pas venu à la surface pour admirer des poissons, aussi beaux soient-ils. 

— Pourrait-on sortir ? supplia-t-il. 

Grégoire hocha simplement la tête. Il dit quelque chose à Maude et Barbara et fit signe à Hélios de le suivre. 

Ils se retrouvèrent dans un jardin soigné qui longeait la mer. Hélios voulut s'approcher le plus près possible de l'eau, jusqu'à une sorte de terrasse pourvue d'une statue de marin. Il s'accouda à une balconnade pour regarder vers le lointain. De minuscules bateaux évoluaient à l'horizon. Il eut l'impression de revivre en prenant de grandes bouffées d'air. Malgré ses goûts pour la surface, Hélios restait un triton au fond de lui, car il était incapable de trop s'éloigner de l'attraction de la mer. Il s'en désolait. Il aurait aimé être un humain. Tout aurait été beaucoup plus simple pour lui. 

Grégoire s'était accoudé à la balustrade à côté de lui et le regardait, soucieux. 

— Tu vas mieux ? demanda-t-il. 

Hélios hocha simplement la tête sans parvenir à s'exprimer par la parole. Lorsque Grégoire le fixait comme il le faisait à l'instant présent, il devenait tout simplement irrésistible et le triton devait lutter pour rester impassible. Il mourrait d'envie de sentir à nouveau les lèvres du jeune homme contre les siennes. Ce désir était si vif qu'il en devenait douloureux. Les doigts de triton se crispèrent autour de la barrière qui le protégeait du vide. Il prit de grandes inspirations, beaucoup trop conscient de la présence de Grégoire à quelques centimètres de lui. 

Un nuage passa devant le soleil. Pendant une seconde, l'eau perdit une partie de son éclat. Hélios la trouva moins belle. 

— C'est parce que tu aimes tant la mer que tu habites sur un bateau ? voulut-il savoir. 

— Je n'habite pas sur un bateau, le corrigea Grégoire. J'y passe de temps en temps quelques jours, c'est tout. 

— Oh… Mais où loges-tu habituellement ? 

— À Paris. Mon père a un hôtel particulier dans le XVIe. 

Paris… 

Le petit triton connaissait le nom de cette ville. Cela faisait apparemment partie des villes de la surface qu’il fallait absolument visiter. 

— Je voudrais aller à Paris, déclara-t-il donc avec conviction. Est-ce facile d’accès depuis ici ? 

Grégoire resta silencieux un moment. Il paraissait mener un débat en lui-même. 

— Tu pourrais venir avec moi, proposa-t-il soudain. À la fin de mes vacances ici. Il reste de la place dans la voiture. 

Hélios n’en croyait pas ses oreilles. Serait-il possible qu’il puisse rester avec Grégoire ET visiter la surface en même temps ? 

Son cœur palpita. 

— Quand as-tu l'intention de répartir ? 

— D'ici quelques semaines. À la fin du mois d'août, probablement. 

L'humeur d'Hélios s’assombrit aussitôt. Dans quelques semaines, il aurait le corps recouvert d’écailles permanentes. Il ne pouvait pas attendre aussi longtemps. 

— Je ne pense pas que je pourrais venir, marmonna-t-il donc. 

Quand il regarda à nouveau le jeune homme, il vit qu'il semblait déçu, ce qui le surprit. Le triton ne comprenait pas pourquoi Grégoire semblait tenir à sa présence alors qu'il avait maintenant une petite amie. 

Les humains étaient parfois très bizarres. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant