Chapitre 9

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Hélios fut tiré de son sommeil par un hurlement strident. Il ouvrit les yeux, complètement perdu, et les referma aussitôt, ébloui par une vive lumière qui lui brûlait les rétines. Il lui fallut plusieurs secondes avant de se rappeler où il se trouvait et pour comprendre la cause de toute cette luminosité. Le soleil ! Il avait enfin vu l'astre dont il avait tant rêvé. Ses rayons chauds couraient sur sa peau, le réchauffant de la plus agréable des manières. 

“J’ai réussi”, songea-t-il, le cœur débordant de joie. “J’ai atteint la surface !”

Il se redressa sur les coudes et regarda tout autour de lui, émerveillé. Jamais aucun film n'aurait pu restituer un tel déluge de couleurs. L’eau d’un bleu azur étincelait de mille feux comme si elle était composée d'un assemblage de pierres précieuses. Hélios ressentait l’envie d'y plonger la tête la première, ce qui aurait été particulièrement idiot car il se serait transformé aussitôt. Et il n'était pas venu ici pour s'intéresser à ce qu'il avait eu tant de mal à quitter. Il préféra lever les yeux vers le ciel limpide. Un unique nuage tout blanc le traversait paresseusement, poussé par un infime soupçon de brise. Une mouette tournait en rond au-dessus de lui. 

Un nouveau cri le fit sursauter et il se retourna, se rappelant brusquement qu’il s’était infiltré sur un bateau inconnu. 

— Il y a un homme tout nu sur le pont, s’époumonait une jeune fille vêtue d’une robe rose pâle et de grosses lunettes de soleil en forme de cœur. 

Elle se tenait à une certaine distance, visiblement effrayée. C’était elle qui avait crié par deux fois. Elle parlait en français, une langue qu’Hélios ne connaissait pas mais le traducteur inséré dans son oreille lui permit de comprendre ses paroles avec un infime décalage. Il baissa les yeux sur son corps dénudé, soudain gêné. Il se rappela à ce moment-là qu’il avait appris que les habitants de la surface étaient plus pudiques que les sirènes et tritons, sans doute parce qu’ils n’avaient pas besoin de se déshabiller sans cesse pour se transformer. 

Deux autres humains mâles arrivèrent en courant. Eux aussi restèrent à une certaine distance, observant Hélios avec des yeux ronds comme des méduses. 

Le petit triton se recroquevilla sur lui-même pour cacher sa nudité autant que possible. Il avait quitté le vaisseau précipitamment, sans penser à emporter le moindre vêtement. Il s’en mordit la lèvre. À peine arrivé à la surface, il commençait déjà à faire des erreurs. Les FIT avaient peut-être eu raison de ne pas l’accueillir en leur sein… 

L’un des humains régla son problème en lui envoyant une serviette à la figure. Hélios s'en saisit et se drapa dedans comme dans un pagne. Ce fut à ce moment-là qu’il vit ses mains. Elles n'étaient plus palmées. Les voilà devenues de vraies paumes d'humains. Fasciné, le petit triton plia et déplia ses doigts au moins dix fois de suite. Puis il poursuivit par l'examen de ses bras. Sa peau ne comportait plus la moindre écaille ! L'injection avait parfaitement fonctionné ! 

— Que se passe-t-il ? demanda une voix grave. 

Hélios releva les yeux. 

Un nouvel humain, un mâle de grande taille et torse nu, venait de débarquer à son tour sur le pont. Il avançait avec l'assurance de celui qui commande. Tous les autres se tournèrent aussitôt vers lui. 

— Nous avons un passager clandestin étonnamment peu vêtu, M. Faure, expliqua l'un des hommes en pointant un index accusateur en direction d'Hélios. 

Le petit triton prit son air le plus innocent en se drapant encore davantage dans sa serviette. Dans le même temps, il ne put s'empêcher de détailler avec curiosité le nouvel arrivant. C'était un jeune homme qui devait être sans doute légèrement plus âgé que lui. Il avait des cheveux noirs crépus coupés très courts et de grands yeux sombres indéchiffrables. Sa peau était d'un magnifique brun chocolat. 

Hélios en fut subjugué. Il n’avait jamais vu un homme aussi beau. Il se leva à moitié, avec la vague idée de s’avancer vers le nouveau venu, mais ses jambes le trahirent soudain et il tomba à genoux, déstabilisé. Sa serviette avait glissé et il la rattrapa juste à temps pour éviter d'exposer à nouveau son anatomie. Il avait un peu mal au cœur. 

La fille de tout à l’heure se tenait toujours en retrait, l’air méfiant. Elle avait été rejointe par une autre aux cheveux courts et à l’air féroce. 

— On devrait appeler la police, suggéra cette dernière. 

Ce qui n'était pas une bonne chose. Hélios savait que les policiers étaient plus ou moins l'équivalent des gardiens de l'ordre interne de l'Atlantide. Il ne devait pas tomber entre leurs mains. 

Le petit triton regarda la mer à moins d'un mètre du coin de l'œil. Devait-il sauter et fuir ? S’il s’enfonçait suffisamment vite et profondément, les humains ne le verraient peut-être pas se transformer. Mais il était venu ici pour découvrir la surface, par pour s’en échapper à peine arrivé. 

Il avait de plus en plus mal à la tête et peinait à réfléchir. Le traducteur automatique lui déversait dans le cerveau un déluge d’informations à toute allure. D’ici quelques heures, Hélios serait capable de parler cette nouvelle langue couramment. En attendant, il ne pouvait que comprendre sans s’exprimer ou se défendre. 

Le grand jeune homme s'accroupit à côté de lui. Hélios retint son souffle. Il était encore plus magnifique de près et le triton en oublia tous ses projets de fuite. Il avait envie de poser une main sur sa peau sombre pour en apprécier la douceur. Mais c'était sans doute quelque chose qui ne se faisait pas et il ne voulait pas commettre une nouvelle maladresse. 

— Est-ce que tu es blessé ? demanda l'humain. 

Hélios secoua négativement la tête. Il était courbaturé de partout, avait la tête qui tourne à cause du traducteur, mais ne souffrait d’aucune blessure. De toute façon, il ne devait surtout pas risquer de se retrouver face à un médecin humain qui risquerait de le démasquer. 

— Comment es-tu monté sur mon bateau ? 

Le petit triton fit un vague geste de la main qui ne voulait rien dire du tout. 

— Tu es muet ? 

Il hocha la tête. L'humain n'en parut pas très convaincu. Il se redressa pour aller rejoindre les deux filles. Ils conversèrent tous les trois à voix basse. Un humain n’aurait pas pu les entendre. Mais les tritons avaient l'ouïe plus fine. 

— Il est peut-être venu avec de mauvaises intentions, chuchotait furieusement la fille aux cheveux courts. Cela me paraît indispensable de prévenir la police. 

— Il était tout nu, insista sa compagne avec une indignation visible. 

Le grand jeune homme se contenta d’hausser les épaules. 

— Il n’a pas l’air bien méchant. Gardons le avec nous pour le moment. Nous ne manquons pas de place. Il pourra toujours partir tout à l'heure quand nous serons de retour à Nice. De toute façon, nous n’allons tout de même pas le balancer dans la mer, n’est-ce pas ? 

Les deux filles protestèrent encore un moment. Puis celle qui avait parlé tout à l'heure finit par grommeler : 

— Très bien. C’est ton yacht. C’est toi qui décide. 

Et la question parut réglée. 

Le jeune homme revint auprès d'Hélios qui se relevait péniblement. 

— Je m'appelle Grégoire Faure, dit-il. Tu te trouves sur le yacht de mon père. 

Hélios lui adressa son plus beau sourire en guise de réponse. Il vit le dénommé Grégoire cligner des yeux puis détourner brusquement le regard. Le ventre du triton se noua et il se demanda quelle bêtise il venait de commettre à nouveau. Peut-être aucune, cependant, car le reste de l'équipage était en train de se disperser, considérant apparemment le danger comme écarté. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now