Chapitre 19

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Hélios se réveilla le lendemain matin plein d'une ferme résolution. 

"Il vaut mieux ne pas m'attacher à Grégoire", se répéta-t-il en attrapant les premiers vêtements qui dépassaient de l’un de ses sacs. "Je ne suis que de passage. Je serai bientôt parti et je ne le reverrai plus jamais. Et puis, c'est Barbara qu'il aime. Sans compter que je suis venu ici pour visiter la surface et non pour rester stationnaire sur le même bateau. Je partirai demain. Ou le jour d’après. Oui, c’est décidé". 

Il jeta un regard dans le miroir. Ses cheveux partaient dans tous les sens, tout collants de sel à cause de sa baignade de la veille. Il passa sous la douche pour les rincer soigneusement à grand renfort de shampoing moussant et se sécha de la tête aux pieds. 

Son dos restait douloureux, malgré la crème de Grégoire. En voulant vérifier l’état de son coup de soleil, il remarqua un éclat bleu. Il l’observa de plus près en se tordant presque en deux. C’était l’une de ses écailles permanentes qui n’avait pas encore disparu. Il la frotta à plusieurs reprises avec sa serviette, mais elle demeura en place sans faire mine de s’estomper. 

“Je suis déjà en train de commencer à reprendre mon apparence ordinaire”, s’affola-t-il. “Je n’aurais jamais dû me transformer. Quelle bêtise !” 

Son cœur se mit à battre trop vite. 

Il examina le reste de son corps avec attention. Il ne vit pas d’autre écaille. 

Le petit triton posa les deux mains sur le rebord du lavabo et prit une grande inspiration pour se calmer. 

Ce n’était pas la fin du monde. Il ne pourrait plus se mettre torse nu, voilà tout. Ce qui valait d’ailleurs peut-être mieux, car il ne voulait pas risquer d’être à nouveau frappé par ce soleil si sournois. Et puis Grégoire ne voudrait probablement plus lui masser le dos, maintenant qu'il était en couple avec Barbara… 

Son ventre se noua. 

Il détacha ses doigts et enfila son t-shirt qui couvrait parfaitement son dos. Il tira plusieurs fois dessus pour en être parfaitement certain. Voilà, son écaille était invisible. 

Hélios sortit de sa cabine en traînant des pieds, son enthousiasme primitif envolé. Il voulut aller petit-déjeuner sur le pont, mais remarqua que Grégoire et Barbara s’y trouvaient déjà, collés l’un contre l’autre. Il fit demi-tour sans avoir été remarqué. Il n'avait pas le courage d'assister à leur bonheur. Plus tard, peut-être. 

Le yacht était à présent amarré dans le port de Nice, ce qui était plus pratique pour en sortir. Le triton n'eut qu'à emprunter une passerelle pour gagner la rue. 

Il marcha un moment au hasard, les mains enfouies dans ses poches. Il avait oublié ses lunettes de soleil et le regrettait un peu. Ses yeux étaient habitués à la lumière tamisée de l'Atlantide et non au vif éclat de la surface. 

Les ruelles lui parurent moins attrayantes que la veille. Il remarqua que les murs étaient délabrés, que le sol était sale, que les humains se bousculaient sans s'excuser. La surface n'était sans doute pas un endroit aussi merveilleux qu'il ne se l'était imaginé. 

Le petit triton s'engage sur une grande place illuminée par le soleil en soupirant. Il s'efforçait de chasser ses pensées sombres. Après tout, il était en train de vivre son rêve qui était de visiter le monde d'en haut (et non d'être embrassé par un humain, contrairement à ce que son inconscient avoir l'air de croire). Mieux valait se concentrer sur tout ce qui allait bien. 

Grégoire lui avait remis un peu d'argent la veille. Hélios se demanda s'il n'allait pas s'acheter à nouveau l'une de ces glaces si délicieuses. Il voyait justement une boutique qui en proposait juste devant lui avec un grands nombres de parfums. 

Le triton ressortit quelques minutes plus tard avec un cornet rempli de trois boules colorées qui commençaient déjà à fondre sous le soleil. Il alla s'asseoir sur un banc et croqua dans la glace savoureuse. Il la termina bien vite. 

Hélios grignota ce qui restait du cornet sans réel appétit. La place était jolie, avec un gros arbre planté en son centre. Elle était entourée de hautes maisons avec des arcades. 

Un gros oiseau gris et gras vint se poser devant lui, à moins d'un mètre. Il pencha la tête dans sa direction. Hélios songea avec nostalgie à ses poissons et lui lança une miette qu'il goba avec voracité. L'instant d'après, deux autres oiseaux de la même espèce débarquèrent à tire d'ailes. Puis trois. Puis toute une nuée qui s'agitait, se bousculait, se battait pour quelques miettes. 

Le petit triton leur jeta le reste du cornet qui ne lui faisait plus envie. Il disparut aussitôt dans la masse de volatiles. 

Un frisson le parcourut soudain malgré la chaleur. Il avait l'impression tenace que quelqu'un était en train de l'observer. 

Hélios parcourut la place du regard. Il n'y avait pas encore beaucoup de monde. Outre le commerçant qui lui avait vendu sa glace, il vit quelques touristes en train de se photographier devant une statue. Un couple de personnes âgées prenait un café sur l'une des terrasses. Un garçon avec une casquette et des lunettes de soleil sortait de la station de tramway souterraine, des écouteurs dans les oreilles. 

Une ombre passa au-dessus de lui lorsque de nouveaux oiseaux se posèrent avec les autres. Il ne devait pourtant plus rester grand chose à manger. Ils se jetèrent néanmoins dans la mêlée. 

Hélios avait désormais les mains vides. Il se leva avec la vague idée d'aller se dégourdir les jambes à nouveau dans la vieille ville car il lui restait un peu d'argent à dépenser pour des souvenirs. Il préférait éviter le bord de mer. Il ne voulait pas être tenté par une nouvelle baignade. Celle de cette nuit n'avait pas été la meilleure des idées. 

Il approchait de la sortie de la place d'un pas vif lorsque le garçon grand et maigre de tout à l'heure lui barra soudain la route. Surpris, Hélios leva les yeux vers lui et le vit retirer ses lunettes pour dévoiler ses yeux d’un bleu vif. Sous sa casquette, ce garçon avait les cheveux coupés aussi courts que les siens. Le triton le reconnut tout de même instantanément. 

C’était Ptolémée. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now