Chapitre 20

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— Salut Hélios. 

Ptolémée avait parlé d’une voix sans timbre, le visage fermé. Il avait l'air beaucoup moins joyeux que d'habitude et le fixait avec un air insondable. 

Hélios recula d'un pas, le cœur battant.  

— Bonjour Ptolémée, le salua-t-il sur le même ton. 

Il était cependant loin de ressentir le calme qui s'efforçait d'afficher. Ses oreilles bourdonnaient et il avait les mains tremblantes. 

Pendant trente bonnes secondes, les deux tritons restèrent plantés l'un en face de l'autre sans dire un mot. Puis Ptolémée fit un mouvement du bras pour retirer ses écouteurs. Sous sa veste à manches courtes, il portait à sa taille le pistolet paralysant qu’utilisaient les FIT. 

Hélios se tendit encore davantage. 

— Tu vas me tirer dessus ? ne put-il s'empêcher de demander en désignant l’arme du menton. 

Ptolémée en perdit son impassibilité. 

— Le faudrait-il ? s'étonna-t-il, mal à l'aise. 

Il gigota en jetant des regards presque effrayés sur son arme. 

Hélios haussa les épaules. 

— Aucune idée. C’est toi le membre des FIT, pas moi. 

Son ventre se serra amèrement à cette pensée. Son échec au concours continuait à lui peser. 

Ptolémée prit une grande inspiration. 

— Disons que non… Je ne peux pas le faire au milieu d'une place publique humaine, de toute façon. Tu vas te laisser arrêter sans résister ? 

Il ne paraissait pas très convaincu par ce fait. 

Hélios fit la moue. Dans ses rêves de carrières, il ne s’était jamais imaginé faire partie des délinquants traqués par les FIT. 

— Je n'ai pas la moindre envie de rentrer tout de suite, soupira-t-il. Tu as vu cet endroit ? C'est le paradis ! 

Il désigna d'un geste ample la grande place et ses oiseaux gris, les maisons colorées et le ciel bleu limpide. 

— Ce n’est pas le paradis, protesta Ptolémée en fronçant les sourcils. C’est le territoire des humains, nos ennemis. Ils sont dangereux. N'oublie pas ce qu'ils ont fait à nos ancêtres. Tu n’y as pas ta place. S'ils découvraient ce que tu es… 

— Les humains que j'ai rencontrés sont très gentils, le coupa Hélios. Ils ne me feront aucun mal. 

Il n'avait en réalité aucune idée de la façon dont Grégoire réagirait s'il découvrait la vérité à son sujet. Quant à Maude et Barbara, elles n'avaient pas l'air de l'aimer beaucoup… Ou, du moins, elles se méfiaient de lui. Mais il ne pensait cependant pas que l'un des trois amis pourrait vouloir lui nuire. De toute façon, il n'avait pas l'intention de leur révéler quoi que ce soit, ce qui réglait le problème. 

— Tu m’as attiré des ennuis, lui reprocha soudain son ami. Les FIT ont cru que je t’avais donné mon badge volontairement. J’ai eu beaucoup de mal à les convaincre de mon innocence. 

Hélios baissa la tête. 

— Je suis désolé. Je… je ne voulais pas te causer de tort… 

Il était heureux d'avoir l'occasion de s'excuser. Mais il ne savait pas comment trouver ses mots. Ptolémée le fixait en silence et il finit par se décider à ne plus rien ajouter à ce sujet. Il se demanda si son camarade le considérait toujours comme son meilleur ami ou s'il était trop fâché contre lui. 

— Comment as-tu su que je me trouvais là ? marmonna-t-il. 

Ptolémée prit un air qu'il voulait sans doute professionnel. 

— Nous avons été plusieurs à être chargés de te retrouver répartis dans plusieurs villes des environs de l'endroit où le vaisseau que tu as volé à été trouvé. Tu es ma toute première mission, si on veut. 

Hélios grimaça. 

— Je ne mérite pas autant d'honneur, ironisa-t-il. Et puis je n'ai pas volé ce vaisseau. Je l'ai plutôt… euh…emprunté. 

L'ombre d'un sourire étira le coin des lèvres de Ptolémée. Il passa une main dans ses cheveux avec embarras, comme s’il ne s’était lui non plus pas encore bien habitué à leur nouvelle longueur. Il ressembla soudain bien plus au triton qui était l'ami de toujours d'Hélios. 

— Tes parents et ta sœur sont très inquiets pour toi, lança-t-il d’une voix pleine de réprobation en changeant brusquement de sujet. 

Hélios éluda le sujet d’un geste de la main. Il ne voulait pas parler de sa famille et encore moins imaginer les réactions que son départ avait provoquées. 

— Je reviendrai, d’accord ? marmonna-t-il en observant répartir les oiseaux qu’il avait nourris. L’injection ne fera pas effet éternellement. Bientôt je retrouverai mes écailles et je ne pourrai plus me mêler aux humains. Laisse-moi juste quelques semaines et j’irai me rendre de moi-même. 

Il jeta à son ami un regard implorant. Il ne voulait pas se battre contre lui. De toute façon, Ptolémée aurait certainement l’avantage s'il fallait en arriver à une telle extrémité, car il était plus grand et plus fort que lui. C'était toujours lui qui avait remporté toutes les bagarres qu'ils avaient mené dans le bassin de la garderie l'un contre l'autre lorsqu'ils étaient de tout petits tritons de moins d'un mètre de long. 

Ptolémée hocha lentement la tête. 

— J'imagine que je peux bien t'accorder cela, se résigna-t-il. Quoi que je ne sois pas certain de te rendre service. Il serait dans ton intérêt de rentrer avec moi à la maison. 

À la maison… Hélios se rendit compte que ce mot désignait maintenant dans son esprit le yacht de Grégoire et non les bulles de verre si sombres de l'Atlantide. Il ne s'y était jamais vraiment senti chez lui alors qu'il s'était habitué à toute allure à la surface. 

— Laisse-moi quelques semaines, répéta-t-il. 

Ptolémée lui tendit quelque chose. 

— Prends ça, alors. 

C'était un petit cube noir comportant un gros bouton rouge en son centre. Hélios croyait connaître ce matériel. 

— Un localisateur ? 

Ptolémée hocha la tête. 

— Tu n'auras qu'à l'activer lorsque tu seras prêt à rentrer. Un agent des FIT viendra te chercher à l'endroit où tu te trouves. J'essaierai d'être présent, si je le peux. Ne t’attire pas des ennuis en attendant. 

Hélios eut un sourire triste. 

— Je crois que j’en ai déjà. 

— C’est vrai. Ne t’en attire pas d’autres, alors. 

— Je ferai de mon mieux. 

Les deux tritons s'étreignirent. Hélios se sentait un peu moins triste. C'était un soulagement de se trouver en présence d'une personne envers qui il n'avait aucun secret. 

Ptolémée le lâcha et  lui jeta un dernier regard et fit demi-tour. Il avait auparavant remis sa casquette et ses lunettes de soleil pour passer inaperçu. Il s'engouffra à nouveau dans la station de tramway et disparut. 

Hélios resta figé sur place encore un moment, le cœur lourd. 

La prison de l’Atlantide était un endroit horrible dans lequel les détenus n’avaient le droit de nager qu’une seule fois par semaine. Le petit triton n’avait pas la moindre hâte d’y être enfermé lorsqu'il se serait rendu. Il n'attendait guère de clémence de la part de ses semblables. 

Hélios regarda le localisateur serré dans son poing. Une part de lui avait envie de le jeter au loin car l'idée d'avoir à l'utiliser le répugnait. Il ne voulait pas rentrer. Il voulait passer le reste de son existence à la surface, aux côtés de Grégoire. 

Il était tombé amoureux de lui. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now