Chapitre 13

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Grégoire se réveilla le lendemain matin avec une belle gueule de bois. Il grogna en se redressant et posa sa tête contre le mur bien frais de sa cabine. Il avait l’impression qu’un marteau piqueur était en pleine action à l’intérieur de son crâne, ce qui n'était pas spécialement agréable. Le jeune homme fouilla dans le tiroir de sa table de nuit et avala le premier anti-douleur qui lui passa sous la main, priant pour qu'il agisse au plus vite. 

Il se leva en chancelant. Le bateau tanguait doucement sous ses pieds. Grégoire avait mal au cœur et se sentait crasseux. Il se souvenait vaguement avoir cédé le volant de sa décapotable à Maude qui ne buvait jamais. Elle lui avait fait des reproches qu'il n'avait pas écoutés. Le trajet du retour restait très flou dans son esprit. Une fois dans sa cabine, il s’était laissé tomber sur son lit tout habillé, sans même prendre le temps de retirer ses chaussures, et avait sombré aussitôt dans le sommeil.

Une odeur désagréable lui fit froncer les narines. Il renifla sa chemise. Ses habits sentaient mauvais l’alcool et la sueur. Il les retira avant d’aller se doucher. L’eau froide lui fit vaguement du bien et il la laissa couler sur sa peau en soupirant d'aise. 

Il s’autorisa alors seulement à repenser à ce qui s’était passé la veille. 

Malgré ses efforts, Grégoire n’avait pas été assez saoul pour avoir tout oublié de la soirée. Du moins, il se souvenait parfaitement de la présence d'Hélios dans ses bras. 

Hélios… C'était un prénom étrange pour un garçon qui ne l'était pas moins. Étrange et horriblement attirant. 

Grégoire se frappa le front en manquant de gémir. Le souvenir du goût des lèvres d'Hélios le rendait fou. Il ne savait même pas comment il avait pu réussir à arrêter de l'embrasser. Il avait éveillé en lui tout le désir enflammé qu'il ne parvenait pas à ressentir avec une fille comme Barbara. 

Jusqu’à présent, Grégoire n’avait embrassé qu’un seul et unique garçon, lorsqu’il avait treize ans. Il se nommait Éric et était le fils du jardinier qui entretenait le jardin de l’une des résidences secondaires des Faure en Normandie. Éric avait un an de plus que lui et c'était lui qui avait pris l'initiative un après-midi d'été, alors qu'ils étaient tous les deux en train de faire trempette dans la piscine. La baiser avait été bref, comme arrivé par hasard. Éric s'était aussitôt éloigné après et avait agit comme s'il ne s'était rien passé, les joues un peu rouges. Par la suite, ils s’étaient embrassés à plus d’une reprise, laissant parfois leurs mains se balader ici et là. Grégoire avait trouvé cela terriblement excitant. Il découvrait alors pour la première fois le désir, même s'il n'était pas encore prêt à aller plus loin que cela à ce moment-là. Éric était dans le même état d'esprit que lui. Ils se contentaient de se laisser guider par leurs pulsions d'adolescents. 

Puis son père les avait surpris un jour. Grégoire n’avait jamais oublié le regard de dégoût qu’il lui avait lancé. Le père d’Éric avait été renvoyé une heure plus tard et Grégoire n’avait jamais revu son ami. Il n’avait pas cherché à le faire car il se sentait honteux. À ce moment-là, il commençait déjà à comprendre qu’il n’était pour son géniteur qu’une source de déception continuelle. 

Il avait enfoui son penchant au plus profond de lui-même, persuadé qu’il pourrait le faire disparaître en luttant suffisamment. Il y était plutôt bien arrivé jusqu’à présent. Jusqu’à l’arrivée d’Hélios. 

“Je devrais lui dire de partir”, songea-t-il en arrêtant de faire couler l'eau. “Il ne m’apportera rien de bon, bien au contraire”. 

Mais l’idée de ne plus jamais voir Hélios lui déplaisait encore davantage que de provoquer la colère de son père. 

Il s'enroula dans une serviette moelleuse en secouant la tête, envoyant des gouttelettes sur le miroir embué. 

Il n’avait pas la moindre idée de qui pouvait être Hélios et ne comprenait même pas comment il avait pu se retrouver soudain sur son yacht, nu comme un ver. Il n’avait même pas l’air d’avoir atteint ses dix-huit ans. Peut-être avait-il fugué de chez lui. La raison aurait sans doute voulu qu’il appelle la police, comme Barbara avait suggéré. Sa famille le faisait probablement rechercher. Il pouvait même très bien être venu avec de mauvaises intentions. La famille Faure était richissime et l’argent attirait fatalement les voleurs. Mais Hélios, avec ses grands yeux bleus continuellement écarquillés, n’avait pas l’air malhonnête. Il semblait juste un peu perdu. Et il était beaucoup trop beau pour être vrai. Il ressemblait à une créature de conte de fées. Ou à un ange tombé du ciel. 

Maude et Barbara étaient déjà attablées sur la terrasse pour prendre leur petit-déjeuner, protégées par un vaste parasol. Il faisait déjà très chaud et Grégoire aurait préféré rester dans sa cabine bien climatisée. Il n'était pas du matin. L’anti-douleur ne faisait pas encore complètement effet et son mal de tête était plus lancinant que jamais. 

Les deux filles le saluèrent de joyeux signes de la main. Grégoire fut pris d’une bouffée de soulagement en comprenant qu’elles n’avaient rien remarqué de ses activités au cours de la soirée. Sinon, elles ne se comporteraient probablement pas ainsi, n’est-ce pas ? 

Le jeune homme s’assit à côté de Barbara, suffisamment près d’elle pour pouvoir sentir son parfum floral. 

“C’est une belle fille”, se répéta Grégoire presque désespérément. "Beaucoup de garçons seraient ravis de sortir avec elle. Alors, pourquoi pas moi ?"

Barbara se trémoussa sur sa chaise et sa rapprocha de lui, le frôlant presque. Il s’obligea à ne pas reculer. 

— Tu as… hum… bien dormi ? lui demanda-t-il pour faire la conversation. 

La jeune fille battit des cils. 

— Très bien, merci. 

Grégoire attrapa une tranche de pain grillée avec des pincettes et le déposa dans son assiette. 

— Où est Hélios ? ajouta-t-il ensuite en feignant l’indifférence. 

Maude lui jeta un regard surpris. 

— Qui ça ? 

Il se servit une grande rasade de café et prit tout son temps pour répondre. 

— Le type qui a débarqué hier. Il s’appelle comme cela. Apparemment il a retrouvé la parole. 

— Oh, lui ? Aucune idée. Il dort peut-être encore. Ou alors il a disparu aussi soudainement qu’il est apparu. Qui sait ? Tu ne devais pas le laisser sur terre, d'ailleurs ? 

Grégoire porta la tasse à ses lèvres. Le café était court et sans sucre, comme il l'aimait. 

— Je lui ai prêté des fringues que je tiens à récupérer, inventa-t-il. 

Il avait bien conscience de la faiblesse de son argumentaire mais ni Maude ni Barbara ne répliquèrent quoi que ce soit. Les vêtements étaient peut-être pour elles un sujet suffisamment sérieux. Ou alors il était devenu un acteur convainquant, après avoir passé toutes ces années à jouer l'homme hétéro un brin macho. Il avait presque réussi à se persuader lui-même de ce fait. Et puis l'arrivée d'Hélios avait anéanti en un instant toutes ces années de mensonge. 

Grégoire serra les poings sous la table. Non. Il ne se laisserait pas faire. Ce baiser était une erreur qui ne se reproduirait plus. Voilà tout. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now