Chapitre 3 Grégoire

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— Je peux monter à l'avant cette fois ? supplia Barbara en battant des cils. 

Grégoire haussa les épaules avec indifférence. 

— Comme tu veux. 

La jeune fille poussa un petit cri de joie en ouvrant la portière de la décapotable rouge. Maude se contenta de secouer la tête, fataliste, et alla s’installer sur la banquette arrière avec un petit sourire entendu. 

Grégoire s’installa à la place du conducteur et posa sa main gauche sur le volant. Il fit tourner la clef de contact.

Le soir n'allait pas tarder à tomber Ils avaient quitté Paris à l'aube pour parcourir les près de 1000 km qui séparaient Nice de la capitale. Il aurait certes été plus simple qu'ils prennent l'avion pour une telle distance, mais le jeune homme avait voulu conduire. Il avait obtenu son permis il y a peu et voulait tester sa nouvelle voiture, une Ferrari Portofino à la cuirasse rouge. Son père la lui avait offert il y a un mois, pour ses dix-huit ans. Grégoire l'avait trouvée garée devant la porte de leur gigantesque appartement parisien, avec une note un peu sèche et sans grande sincérité de joyeux anniversaire posée sur le capot. Son père n'était pas présent ce jour-là. Il partait pour l'un de ses innombrables déplacements professionnels. La Chine. Ou la Corée ? Il y avait tant de destinations différentes qu'il avait perdu le fil. Grégoire n'avait jeté qu'un vague coup d'œil au mot griffonné à la va vite et s'était en revanche longuement attardé sur la contemplation de sa nouvelle possession. Pour une fois, son père lui avait procuré quelque chose qui lui faisait réellement plaisir, ce qui était assez rare. Il se contentait parfois simplement de lui remettre un chèque à plusieurs zéros, ce qui valait peut-être mieux qu'un cadeau raté. 

La Ferrari démarra au quart de tour pour quitter l'aire d'autoroute. Les longs cheveux bouclés de Barbara battaient dans le vent. La jeune fille retenait son grand chapeau d'une main pour l'empêcher de s'envoler. Maude essaya de s'exprimer depuis l'arrière mais ses paroles étaient à peine perceptibles et elle finit par arrêter de parler. 

Grégoire ressentait une impression qui le prenait de plus en plus souvent ces derniers temps. Il s'ennuyait. Les kilomètres s'enchaînaient depuis le matin et ne provoquaient en lui qu'une lassitude progressive. Ils avaient dépassé Marseille. Ils filaient à vive allure au milieu de chaînes de montagnes bientôt remplacées par le rivage de la mer Méditerranée. Le jeune homme n’y accordait presque aucune attention. L'un des plus beaux paysages au monde défilait devant ses yeux et, pourtant, il n'en éprouvait pas le moindre plaisir. 

Il sursauta lorsque Barbara lui frôla le bras. 

— C’est magnifique, n’est ce pas ? cria-t-elle pour se faire entendre. 

Elle désignait la mer. 

Grégoire essaya de lui répondre par un sourire approbateur puis se concentra à nouveau sur la route. 

Barbara était assurément une fille très jolie. Elle était issue d'une bonne famille et faisait partie de ce genre de personne que son père voudrait le voir fréquenter. Mais l’idée de l'embrasser, de poser ses mains sur elle ne provoquait en lui nulle envie. Pour autant, il supposait que cela ne serait pas nécessairement désagréable. Peut-être devrait-il se décider à le faire puisqu'il lui faudrait bien un jour s'afficher avec une petite-amie, une fiancée, puis une épouse chargée de mettre au monde son héritier. Barbara était sympathique à sa façon. Elle était la meilleure amie de Maude qui avait toujours été la cousine préférée de Grégoire. Et elle flirtait ouvertement avec lui depuis le début de leur petite expédition. Il était évident qu'elle souhaitait profiter de leur séjour pour le séduire. Il serait avisé de la laisser faire. Son père en serait peut-être satisfait, pour une fois. 

Grégoire poussa un soupir mental et laissa ses pensées divaguer tandis que la voiture suivait tranquillement sa route. 

Moins de deux heures après, ils arrivèrent en vue de leur destination. La décapotable descendait à présent le long d’une corniche. Le port de Nice, leur destination finale, était toute proche. Il faisait encore suffisamment jour pour pouvoir admirer la baie des Anges qui miroitait sous le soleil en déclin. 

Moins de cinq minutes après, Grégoire garra la décapotable sur le parking du port. 

Barbara descendit la première de la voiture. Elle semblait très excitée. 

— Lequel est-ce ? demanda-t-elle en passant les yachts en revue. 

Grégoire en désigna un d'un coup de menton. 

— Celui-là. 

Les yeux de la jeune fille s'agrandirent. 

— Oh là là ! C'est l'un des plus gros. 

L’affirmation était quelque peu exagérée, mais il était vrai que le yacht des Faure était tape à l'œil, avec son large pont, son salon panoramique et ses cinq cabines. Le père de Grégoire l’avait acquis il y a plusieurs années d’un autre milliardaire, pour faire comme les autres gens riches et non par goût pour la navigation. Il n’y était venu qu’une fois et n’y avait passé qu’un jour ou deux. Grégoire en avait beaucoup plus profité. Il adorait la mer et n’avait rien contre le luxe. Autant profiter du yacht avant que son père ne finisse un jour par le revendre. 

Les membres du personnel se tenaient le long du pont pour les saluer. Le capitaine s'avança. 

— Bienvenu monsieur Faure. 

Grégoire lui répondit d'un signe de tête. Le voyage l'avait fatigué. Il n'avait pas le cœur à faire la conversation pour le moment. 

Ils entrèrent dans le salon à la grande baie vitrée. Maude et Barbara se jetèrent sur les banquettes blanches en riant. 

— Je vais me reposer un peu, déclara Grégoire en restant debout. 

Il vit Barbara lui jeter un regard un peu déçu. 

Maude fit la moue. 

— À plus tard, alors. 

Il leur adressa un vague signe de main. 

— C’est ça. 

La cabine qu'il utilisait habituellement était spacieuse et lumineuse et sentait encore légèrement les produits d’entretien que le personnel avait utilisés pour faire briller les boiseries dont elle était tapissée. Elle était meublée par un large lit qui occupait presque tout l’espace, laissant tout juste de la place pour une table de nuit et une penderie. 

Grégoire se laissa tomber sur l’épais matelas en poussant un grognement fatigué. Il consulta rapidement son portable. Il avait quelques messages de ses amis qui partageaient des photographies de leurs propres vacances. Rien de son père, bien sûr. Il ne devait même pas savoir où il se trouvait en ce moment. La réciproque était d’ailleurs vraie. 

Le jeune homme fourra le portable à nouveau dans sa poche et s'installa plus confortablement, le regard tourné vers son hublot. Les eaux du port étaient placides en cette chaude fin de journée d'été. Il discernait le large quelques mètres plus loin. Il avait hâte de pouvoir y naviguer. Cela lui permettrait peut-être de retrouver un peu d'entrain. Le sentiment de lassitude qui l’avait pris pendant le voyage n’avait pas complètement disparu. Il se demanda s'il était déjà un homme blasé à tout juste dix-huit ans. 

Le regard perdu vers le lointain, Grégoire se prit à espérer sans se faire d’illusion que cet été-là serait différent des autres. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant