Chapitre 26

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Il ne pleuvait plus, ainsi Hélios accepta-t-il de mettre le nez hors de son abri. L'écaille sur son bras avait bien voulu disparaître en laissant une légère trace blanche presque invisible. 

Grégoire avait garé sa voiture sur une hauteur avec une vue plongeante sur la mer. Ils s'assirent sur le capot après l'avoir essuyé et contemplèrent la vue, main dans la main. Les nuages s’éloignaient déjà. 

Hélios avait le cœur rempli de bonheur, toute frayeur envolée. C'était tout à fait ainsi qu'il trouvait que devait se dérouler une vie humaine. Il aurait aimé que ce moment puisse durer éternellement. Mais il savait que tout avait une fin. 

— Tu as les cheveux tout ébouriffés, lui dit Grégoire. C'est mignon. 

Hélios sourit. 

— Je me les suis coupés moi-même, avoua-t-il en entortillant autour de son index l’une de ses mèches courtes. Avant j’avais les cheveux longs jusqu’à la taille. 

Le jeune humain l’examina comme s’il essayait de s’imaginer la chose. 

— J’aurais bien aimé voir cela, conclut-il. Et pourquoi un tel changement drastique ? 

Le petit triton haussa vaguement les épaules. 

— Je crois que je voulais surtout… devenir quelqu'un d'autre. 

Grégoire se mordit pensivement la lèvre. 

— Je suppose que c'est réussi. Tes propres parents n'ont pas dû te reconnaître. 

Hélios se tendit. Le jeune humain dut le sentir car il changea brusquement de sujet. 

— Il y a de nouveau du soleil, fit-il remarquer. Regarde, il y a un arc-en-ciel. 

Hélios tourna aussitôt la tête, ravi. Les arcs-en-ciel étaient tout en haut de la liste des phénomènes auxquels il souhaitait assister. 

Il ne fut pas déçu du spectacle. L'arc était gigantesque, tel un pont multicolore par-dessus les eaux. C’était encore plus beau que la photographie qu’il avait accrochée jadis dans sa chambre, en Atlantide. 

Grégoire lui pressa la main. 

— Tu sais ce qu'on dit ? Qu'il y aurait un trésor caché à l'extrémité de chaque arc-en-ciel. 

Hélios remarqua avec horreur que le long ruban multicolore s'enfonçait en plein dans l'eau. 

— Je crois qu'il n'y a aucun trésor au fond de la mer, déclara-t-il de son ton le plus convainquant, ni rien d'autre que des poissons. Et du plancton. 

Grégoire haussa un sourcil. 

— Le crois-tu ? Je suis persuadé que les océans regorgent de merveilles. Quand j'étais petit, je voulais devenir explorateur des fonds sous-marins. 

Le triton secoua la tête, mortifié par cette idée. 

— Mieux vaut explorer la surface. Ou aller dans l'espace. Tu ne voudrais pas marcher sur la lune ? 

Le jeune homme fit la moue. 

— Pas plus que cela. C'est l'eau qui a toujours exercé une attraction sur moi. 

Hélios hocha la tête. Peut-être était-ce pour cela qu'il était attiré par un être aquatique, même s'il l'ignorait. Et serait certainement dégoûté de l’apprendre. 

— Hélios…, reprit le jeune humain. Que fuis-tu exactement ? Tu regardes sans arrêt derrière ton épaule. Et tu as débarqué tout nu sur mon yacht, l'air d'être tombé de la lune sur laquelle tu tiens absolument à m'envoyer. 

Le petit triton sourit. Grégoire se trompait de sens, mais il était bien "tombé", d'une certaine façon, ou, plutôt, il avait sauté. Hélios avait entendu dire, un jour, que les humains connaissaient mieux la surface lunaire que le fond des océans, ce qui était heureux pour les sirènes et tritons. Les FIT n'étaient bien sûr pas complètement étrangères à ce fait. 

Il finit par se décider par une demie vérité. 

— Je fuis ma famille, avoua-t-il. Je me suis enfui de chez moi. Je suis certainement recherché. 

Grégoire caressait sa paume avec ses longs doigts. 

— Pourquoi es-tu parti ? 

Les jambes du petit triton s’agitaient dans le vide. Il regardait toujours l’arc-en-ciel pour se donner du courage. Il risquait de disparaître d'un moment à l'autre et il ne voulait pas perdre une seule seconde de ce spectacle. 

— J’aime mes parents et mes parents m’aiment. Mais… Ils ne sont pas comme moi. Ils ne comprennent pas mes désirs. Ils n'attendent pas de la vie la même chose que moi. Ils voulaient m'imposer un avenir qui me dégoûte. 

En restant suffisamment flou, il pouvait ouvrir autant que possible son cœur à Grégoire et tenter de s'expliquer. 

— Je pense que je peux te comprendre, répondit ce dernier. Pour l'avenir imposé, en tout cas. Moins pour l'amour de tes parents que je n'ai jamais connu pour ma part. 

— Et toi ? demanda timidement Hélios. Tu parles toujours avec réticence de son père. 

Grégoire soupira. 

— Mon père me déteste, je crois. Ma mère est décédée à ma naissance. Je crois qu'il ne me l’a jamais pardonné. Il l’aimait passionnément. Il l'avait rencontrée en Afrique, au Bénin, lors d'un voyage d'affaires. Un coup de foudre. Ma mère a tout laissé derrière elle pour le suivre en France. 

Il sortit de son portefeuille une photographie pliée en deux qu'il montra à Hélios. Elle était toute chiffonnée mais le triton put y discerner une grande femme à la peau noire qui souriait de toutes ses dents à l'objectif. C'était d'elle dont Grégoire avait hérité sa beauté. L'homme qui se tenait à côté d'elle était légèrement plus âgé et portait un costume gris. Il se tenait tout près de la femme, un bras enroulé autour de sa taille. 

— Puis je suis né et elle est morte, reprit Grégoire en crispant ses doigts autour de la photographie. Papa ne s'est jamais remarié. N'a jamais fréquenté quelqu'un d'autre. Je suis son fils unique, sa famille la plus proche, mais il ne m'a jamais aimé. Jamais. Et je doute qu’il le fasse un jour. 

Hélios sentit son cœur se serrer. Il avait envie de prendre Grégoire dans ses bras pour le réconforter. 

Le jeune homme se mit à rire amèrement avant qu'il n'aie pu mettre son projet à exécution. 

— Je sais que je ne devrais pas me plaindre, continua-t-il. Je suis un putain de privilégié. Mon père est bourré de fric et je n'ai jamais manqué de rien. Je conduis une voiture de luxe et je passe mes vacances à la Côte d'Azur sur un yacht. Qui peut en dire autant ? 

— Pas moi, reconnut Hélios en haussant les épaules. 

Il avait fini par comprendre que Grégoire était plutôt fortuné, malgré (ou peut-être à cause de) sa drôle de voiture. Ce n'était pas spécialement le cas de sa propre famille qui habitait dans des bulles de tailles modestes. Pour autant, il n'avait jamais manqué de rien. Après tout, on disait bien que l'argent ne faisait pas le bonheur et Grégoire en était un parfait exemple. 

Quand il releva les yeux, l’arc-en-ciel avait disparu. 

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now