Chapitre 36

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Hélios et Grégoire échangèrent un regard incertain. Ils étaient encerclés par ces nouveaux venus qui avaient pris position tout autour d'eux. Ils ne ressemblaient pas aux hommes qui avaient précédemment enlevé le triton. Travaillaient-il également pour M. Faure ? Hélios en avait plus qu'assez de se faire enlever sans arrêt, et tout cela dans la même journée !

La femme qui avait pris la parole retira alors ses lunettes de soleil pour plonger son regard dans celui d'Hélios. Elle avait les yeux d'un bleu électrique presque surnaturel. Cette fois-ci, pas de doute, c'était une sirène.

Hélios se sentit infiniment soulagé. Puis terrifié. Puis honteux. Il avait trahi son peuple. Il allait maintenant devoir le payer. Les FIT l'avaient rattrapé.

Le petit triton ne savait pas au juste comment réagir convenablement. Certes, il était maintenant à l'abri des humains qui lui avaient fait du mal. Mais il se demandait si ses réels problèmes ne venaient pas tout juste de commencer, car Grégoire était avec lui. Ce n'était pas du tout ainsi qu'il avait eu l'intention de se rendre. Pas en compagnie d'un humain et après avoir trahi auprès des féroces habitants de la surface le secret des sirènes et tritons, même bien involontairement.

Il vit Grégoire lui jeter un bref coup d'œil et il se demanda si le jeune homme avait compris qui il avait en face de lui. Il n'osait pas se pencher vers lui pour lui chuchoter l'information à l'oreille. Les FIT risqueraient de mal le prendre.

La sirène claqua de la langue avec impatience en désignant la portière que son collègue maintenait ouverte. Elle n'avait pas l'air commode. Elle ressemblait un peu à sa grande sœur Sélénée.

Sans doute en raison de cela, Hélios s'avança vers la voiture et monta le premier. Grégoire lui emboîta aussitôt le pas sans hésiter. Ils n'avaient toujours pu échanger aucun mot.

La portière claqua derrière eux. Hélios se sentit aussitôt oppressé. Le véhicule était de toute évidence de fabrication humaine, mais il avait quelque chose qui rappelait l'Atlantide. L'ambiance qui régnait, peut-être et qui était plutôt une absence d'ambiance tant les agents se montraient froids.

Le petit triton posa son front contre la vitre en retenant un gémissement. Comment pourrait-il retourner s'enfermer dans des bulles étanches à présent qu'il avait connu le bonheur d'être caressé par le soleil ?

La voiture démarra. Hélios épia discrètement les personnes présentes. Dépité, il constata que Ptolémée n'était pas parmi elles. En plus de la sirène qui s'était assise à gauche de Grégoire, il y avait un conducteur au visage de marbre et un agent aux cheveux roux beaucoup plus jeune que les autres à l'air nerveux qui surveillait les prisonniers par le rétroviseur. Si Hélios avait réussi son concours, il aurait pu se retrouver à sa place un jour. Mais il n'en éprouvait plus de jalousie, à présent. Il s'était rendu compte de cette existence là n'était pas non plus pour lui. Il était fait pour vivre parmi les humains, un point c'est tout, pas pour les espionner.

Hélios croisa les bras sur son torse. Les FIT étaient vêtus de costumes cravates (un choix étrange pour une journée si chaude sur la Côte d'Azur). Grégoire portait un short et un t-shirt. Et lui ne disposait toujours que de son peignoir sous lequel il était parfaitement nu !

Il se dandina, vaguement gêné d'être habillé avec tant de légèreté. En Atlantide, cela n'aurait pas posé problème, mais sur la surface, c'était une autre histoire.

L'intérieur de l'habitacle était climatisé à une température très basse. Le triton continuait à frissonner. Il aurait bien aimé ouvrir la fenêtre pour laisser entrer un peu d'air chaud, mais n'osait rien faire qui puisse contrarier les FIT. Il avait assez d'ennuis comme ça.

La voiture s'était engagée sur l'autoroute en direction de Nice. Elle roulait très vite en dépassant sans doute les limites autorisées. Le deuxième véhicule la suivait de près. A cette vitesse-là, il faudrait moins d'une heure pour gagner la ville. Hélios ne s'en plaignait pas. Il avait finalement hâte de connaître la punition qui lui serait réservée et, surtout, de s'assurer qu'il n'arriverait rien à Grégoire. Autant affronter son destin une bonne fois pour toute.

Malgré cette bonne résolution, le triton passa tout le voyage à se frissonner, autant de froid que de peur.

Aucun des passagers n'avait prononcé le moindre mot lorsque la voiture aux vitres teintées ralentit en s'engageant sur la promenade des Anglais. À cette heure-là de la journée, le bord de mer de Nice était bondé. Des adolescents zigzaguaient en roller au milieu des personnes qui flânaient en mangeant des glaces ou en promenant un chien écrasé de chaleur. Des petites silhouettes se baignaient au loin en poussant des cris suraigus. Hélios les observait. L'insouciance des vacanciers lui parut incongrue. Comment pouvait-on être joyeux dans un moment pareil ?

Le petit triton se rapprocha légèrement de Grégoire jusqu'à ce que leurs cuisses se frôlent. Il ressentait un besoin éperdu de réconfort. Les mêmes questions continuaient de de tarauder. Qu'allait-il lui arriver ? Et, surtout, qu'est-ce que les FIT allaient faire à Grégoire ? À un humain à présent au courant du secret des sirènes et tritons ? Et si... et s'ils le tuaient ?

Hélios secoua intérieurement la tête. Non, les tritons n'agissaient pas ainsi. N'est-ce pas ?

Il se rongea les ongles avec angoisse. Il s'en voulait terriblement d'avoir entraîné celui qu'il aimait dans cette galère. Grégoire ne se serait jamais fâché avec son père et n'aurait pas été enlevé si le petit triton était resté bien à sa place, au fond de l'océan. Le jeune homme lui prit alors la main et la serra fortement. Hélios ressentit comme une chaleur lui remonter le long du bras. Il en fut un peu réconforté.

La sirène jeta un œil sur leurs mains nouées et pinça les lèvres d'un air réprobateur. Gêné, Hélios voulut dégager ses doigts mais le jeune homme resserra sa prise pour l'en empêcher.

Les deux voitures avaient pivoté vers un quartier dépourvu de vacanciers. Il semblait que la ville se vidait progressivement au fur et à mesure qu'elles s'éloignaient de la mer. Le quartier dans lequel les véhicules finirent par se garer était bien moins riant que les environs de la promenade.

La porte de ce qui ressemblait à une boutique à l'abandon s'ouvrit. Les agents des FIT y entraînèrent leurs prisonniers à toute allure. Hélios se laissa faire. Il venait d'entrer dans ce qui devait être l'une des cachettes des FIT sur la surface. Le bâtiment n'avait rien de reluisant, mais c'était sans doute plus discret ainsi. Personne ne devait y accorder d'attention.

L'intérieur de la fausse boutique était très sombre. Les volets des quelques fenêtres étaient fermés et ne laissaient passer aucune lumière. Les néons du plafond n'éclairaient pas beaucoup. Cela ne fit rien pour calmer l'appréhension d'Hélios. Cette dernière ne faisait au contraire que croître à chaque pas. Pour se donner le courage, il fixait le dos de Grégoire qui marchait juste devant lui.

Ce dernier fut soudain poussé dans une pièce latérale. Le petit triton s'apprêtait à le suivre, mais le jeune agent lui barra le passage.

Hélios s'arrêta net. Il ne voulait pas être séparé de Grégoire !

— Non ! protesta-t-il. Non ! Qu'est-ce que vous allez lui faire ?

La sirène pas commode soupira.

— Rien du tout. Pour l'instant...

— Pour l'instant ?

Pas rassuré pour un sou, il chercha en vain à échapper à ses gardiens en se tortillant comme une anguille.

Mais Grégoire lui sourit derrière l'agent.

— Ne t'inquiète pas, assura-t-il. Tout ira bien. On se voit tout à l'heure.

Ils échangèrent un regard intense. Hélios aurait voulu se jeter dans les bras du jeune homme pour l'embrasser passionnément, mais la sirène l'avait agrippé par le bras et l'entraînait déjà plus loin. Il ne put que se tourner une dernière fois.

— A tout à l'heure, bredouilla-t-il, le cœur serré.

Et il fut tiré en avant.

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now