Chapitre 7

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L'intérieur de la cabine de pilotage était très sobre. Il n'y avait en guise de mobilier que deux sièges dos l'un à l'autre. Hélios s'assit sur celui qui était positionné devant l'écran de contrôle et se mordit la lèvre. Il avait passé tant de temps devant les machines de simulation de navigation qu'il avait cru pouvoir démarrer en un quart de tour. Mais il était très différent de se retrouver soudain à l'intérieur d'un véritable vaisseau. Il resta tout bête une bonne minute devant le tableau de bord rempli de boutons du Poséidon avant de se souvenir qu'il fallait tout simplement commencer par appuyer sur le bouton "marche/arrêt" puis presser son badge contre l'appareil d'identification. 

Bip ! 

Le nom et la photographie de Ptolémée s'affichèrent sur l'écran. 

— Autorisation refusée. Accréditation insuffisante, déclara une voix de machine glaciale depuis un haut-parleur. Veuillez vous rapprocher de votre agent formateur de référence. 

Hélios se mordit la lèvre de plus belle. Le badge n'était pas suffisant pour faire démarrer un tel vaisseau. Il aurait dû s'en douter. Ptolémée n'était encore que tout en bas de la hiérarchie. Mais tout n'était pas encore perdu. 

Le jeune triton appuya sur le gros bouton rouge qui enclenchait la procédure d'urgence. 

— Demande de départ immédiat, dit-il à voix haute. 

Il attendit en croisant les doigts. Enfin, l’annonce suivante fut diffusée : 

— Protocole de départ en cours. Pilotage automatique initialisé. 

Hélios poussa un profond soupir de soulagement. L'eau se mit à remplir lentement le sas d'évacuation. Le vaisseau se mit à flotter peu à peu tandis que les voyants du tableau de bord s'allumaient les uns après les autres. 

Le triton s'installa plus confortablement sur le siège du pilote, trop bas pour lui. Il commençait à prendre ses repères et à se sentir à son aise. 

Une fenêtre s'ouvrit sur l'écran. Il fallait entrer une destination. Hélios se rendit compte qu'il n'avait pas la moindre idée d'où aller. Il voulait visiter tous les continents de la surface. Par quoi commencer ? L'Amérique ? La plupart des films humains qu'il dévorait se passaient là-bas. L'Europe ? Son peuple avait jadis vécu le long des côtés de la Grèce. Oui, la Grèce pourrait être un bon point de départ. Il voulait voir la ville qui était affichée dans sa chambre. S’il en avait l’occasion, peut-être pourrait-il continuer ensuite sa route vers l’Afrique ou l’Asie. 

— Départ possible dans trente secondes, conclut la voix. 

Glou glou glou. 

Le hangar se remplissait d'eau. Il y en avait presque jusqu'au plafond. Les portes qui menaient directement à l'océan s'ouvraient lentement. Hélios frétillait sur son siège, tout excité. Le Poséidon tanguait sous lui. D'ici quelques instants il serait prêt à s'élancer en avant. 

Puis le haut-parleur grésilla. 

— Veuillez préciser votre urgence et votre identité. 

C'était cette fois-ci la voix d'une vraie sirène et non d'une machine. Et elle ne se laisserait pas aussi facilement tromper. 

Hélios resta silencieux, se creusant les méninges pour trouver quelque chose à répondre. 

— Départ annulé, reprit la machine. Fermeture des portes. 

“Non !” s’horrifia le jeune triton. 

Tout autour de lui, l'eau se vidait pour permettre aux ouvertures extérieures de se refermer. 

Hélios appuya sans réfléchir sur l'accélérateur du Poséidon. Le vaisseau répondit aussitôt à son contact et fonça droit devant lui. Il y avait encore tout juste assez d'eau pour lui permettre de voguer jusqu'aux portes. Ces dernières étaient en train de se refermer. Elles avaient déjà pivoté d'une bonne dizaine de centimètres. Le vaisseau les franchit in extremis. Hélios entendit un bruit sourd lorsqu'une des ailes latérales racla la paroie. Il avait certainement éraflé la peinture toute neuve. Un délit de plus qui lui serait reproché lorsqu'il finirait par se faire arrêter. Mais cela n'arriverait peut-être pas avant un bon moment. Le vaisseau qu'il avait volé était l'un des plus rapides de l'Atlantide. Les FIT se lanceraient bien sûr immédiatement à sa poursuite mais il pourrait leur échapper s'il se montrait suffisamment prudent. 

Les phares éclairaient à une dizaine de mètres devant le vaisseau. Hélios aperçut quelques poissons plats filer à son approche. Le Poséidon se fraya un passage entre deux geysers d'eau chaude et entama son ascension. Le paysage était accidenté, comme une montagne à l'envers. 

Moins dix milles mètres. 

L'altimètre du vaisseau se mettait à jour toutes les dix secondes. Hélios le consultait avec impatience, heureux de voir les chiffres diminuer. 

Moins neuf mille cinq cent mètres. 

Moins neuf mille mètres. 

La pression était énorme à cette profondeur là, plus de mille fois supérieure à celle de l'atmosphère. Aucun triton ou sirène ne pourrait y survivre sans protection. Seules quelques espèces s'étaient suffisamment adaptées pour s'installer dans l'une des zones les plus inhospitalières de la planète.  

Moins huit mille cinq cent mètres. 

Le Poséidon suivait tranquillement son ascension à travers la fosse sous-marine et Hélios s’autorisa à se détendre complètement. Il trouva la commande permettant de diffuser de la musique et choisit une chanson terrienne au rythme lent. En fermant les yeux, il pouvait déjà s'imaginer à la surface, au milieu des humains. L'appareil dans son oreille lui traduit les paroles. Elles parlaient d'amour et de passion. De deux personnes qui s'aimaient tant qu'elles étaient prêtes à mourir l'une pour l'autre. 

La chanson se termina et fut suivie par une autre plus entraînante. Puis une troisième. Hélios finit par en perdre le compte. 

Moins cinq mille mètres. 

Le Poséidon déboucha hors de la fosse pour gagner un paysage plat couvert de quelques roches. Il y avait ici déjà bien plus de formes de vie qu'au fond des abysses. Hélios colla son nez contre le hublot. Une grosse méduse bioluminescente passa juste devant lui. Il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse de son champ de vision. 

Le mode furtif s’était enclenché automatiquement à partir d’une certaine profondeur qui rendait le vaisseau repérable par les humains. Hélios ne risquait théoriquement rien. À moins peut-être d'entrer en collision frontale avec un sous-marin, mais la probabilité était faible. Ce n'était encore jamais arrivé à sa connaissance et il ne tenait pas à être le premier à vivre cette mésaventure. 

Le jeune triton bâilla, gagné par la fatigue. Cela faisait plus de deux heures qu'il avait quitté l'Atlantide. Il avait encore une longue route à suivre en longeant les plaines océaniques de l'océan pacifique afin de gagner la mer Méditerranée. Il se laissa tomber à nouveau sur le siège de pilotage, finalement assez confortable. Ses yeux papillonnèrent et il somnola un long moment. 

Moins neuf cent mètres. 

Hélios se secoua et consulta la carte. Le Poséidon naviguait à présent dans les eaux moins profondes de la Méditerranée. Le triton s'étira. Il était plus proche de sa destination que de son point de départ. Il déboucherait à la surface d'ici moins d'une heure. 

Tous les voyants virèrent soudain au rouge. Le Poséidon parut hoqueter et s'immobilisa. La musique s'éteignit. Hélios se précipita vers le tableau de bord. Il appuya frénétiquement sur le bouton marche/arrêt sans provoquer la moindre réaction. Le moteur s’était éteint et l’écran devint entièrement noir. 

"Que se passe-t-il ?" s'inquiéta le jeune triton. 

Les commandes ne répondaient plus. Le pilotage automatique refusait de se remettre en route. 

— Veuillez attendre l’abordage des forces d’intervention sans opposer la moindre résistance, ordonna la voix réfrigérante depuis le haut-parleur. 

Le corps d'Hélios fut traversé d'un long frisson. Les FIT étaient parvenus à en prendre entièrement le contrôle de son vaisseau. Et ils arrivaient.

Arc en ciel (bxb) [terminée]Where stories live. Discover now