2 - Selene

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Je déteste y songer, à cette idée douloureuse que mon père mourra tôt ou tard. Fermier dans l'âme, il a passé sa vie à tout donner pour que sa ferme prospère, pour que ses animaux ne manquent de rien et pour que son commerce ne fane jamais.

Aujourd'hui, sa maladie le ronge de plus en plus et malgré toutes mes tentatives, je ne trouve rien qui pourrait le sauver. La seule chose capable de guérir de tels maux, c'est l'Arbre de Vie. Cependant, il se trouve à des kilomètres de nos vallées et est interdit d'accès pour sa préservation.

Alors en attendant, je me contente de lui dénicher des médicaments qui ne font effet qu'une fois sur deux et je me démène pour garder la ferme en état. L'année dernière, une vague de maladie avait touché nos moutons, nous en avons perdu une dizaine, ce qui n'a fait qu'enfoncer un petit peu plus le couteau dans la plaie. Je sais que mon père aimerait m'aider, cependant, aujourd'hui, il n'est plus en état de faire quoi que ce soit. Sans moi, il dépérirait.

Je n'ai pas connu ma mère, elle est tombée malade peu de temps après m'avoir mise au monde, mon père m'a élevée seul et nos voisins ont eu le rôle de famille pour moi. J'aime ma vie tel qu'elle est même si parfois, j'aimerais pouvoir voyager et voir autre chose que la vallée. Je sais qu'Atya regorge d'endroits idylliques, de villes modernes dans lesquelles on ne s'ennuie jamais. J'aimerais aussi, un jour, voir l'Arbre de Vie de mes propres yeux et pas seulement sur des dessins ou dans des livres. Je suis persuadée qu'il est incroyablement grand, majestueux, puissant et magique. Certains disent qu'on ressent sa magie lorsqu'on s'en approche.

— Allez, poussez-vous et laissez-moi voir ce que vous nous avait pondu dans la nuit.

Je fais fuir les quelques poules qu'il nous reste en agitant mes bras puis ramasse leurs œufs que je mets délicatement dans mon panier en osier. Elles n'ont pas chaumé, les œufs sont gros, il y en a plusieurs et de quoi nous faire des omelettes durant quelques jours. J'en garderai quelques uns pour les vendre sur le marché en fin de semaine.

Je sais que beaucoup de femmes de mon âge rêvent plutôt d'une vie mondaine à base de palaces, de bijoux, de robes, de fêtes et d'amis en tout genre. Ce serait mentir que de dire que je n'y ai jamais songé, cependant, quand mon père est tombé malade, j'ai renoncé à tout rêve pour me consacrer à sa ferme.

Je rentre dans l'atelier, afin de trier les œufs et de les compter. Je pose mon panier sur la table de bois, dans un coin de la pièce trônent plusieurs bouteilles de verre remplies de lait de chèvre et de l'autre côté, nous faisons de la laine que nous revendons à bon prix.

Je fredonne un air au hasard tout en triant les bons œufs et les mauvais, ceux qui pourraient se vendre plus cher et ceux que nous garderons pour nous. Néanmoins, mon activité reste de courte durée puisque je ne fais pas attention à l'homme qui se faufile derrière moi, restante dos à la porte.

On me saisit la nuque brusquement pour me plaquer le visage contre la table. Un œuf se casse sous ma joue, je pousse un cri mais on me retourne avec violence, mon dos est tordu, mes pieds glissent sur le sol et mon agresseur plaque son énorme main grasse sur ma bouche. Rares sont les intrus ici, disons que mis à part nos marchandises neutres, nous n'avons rien de valeur comme tous ces êtres magiques qui vivent en ce monde. Nous sommes le sous peuple, celui pour qui le roi ne s'inquiète que trop peu, car notre enjeu ici, à Atya, est trop faible pour user de l'énergie pour nous protéger. Alors nous nous protégeons nous-même.

De ma main, je tâte la table jusqu'à trouver mon petit économe que j'avais laissé là la veille après avoir épluché des patates. J'en donne un coup à mon agresseur, lui entaillant farouchement la joue. Je le repousse avec mon pied, alors il lâche enfin mon visage. Je me redresse, je respire enfin, quelque peu secouée. Je garde mon économe en main, devant moi alors que deux autres inconnus entrent. Ils portent tous des foulards qui remontent jusqu'à leur nez, si bien que je ne vois que leurs yeux.

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant