Prologue

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Vingt trois ans plus tôt, avant les évènements de guerre et de destruction que subirent les Trois Couronnes, Selene vit le jour. Un bébé en bonne santé, attendu par ses parents et qui, sans aucun doute, ferait leur plus grand bonheur. 

Néanmoins, Lya, la mère de Selene, cachait un lourd secret à son époux. Malgré la naissance de sa fille et toute la joie que cela apportait au sein de sa maison, Lya ne pouvait s'empêcher de ressasser le passé et de sentir, malgré elle, ce qui pourrait se produire si elle ne mettait pas un terme, rapidement, à cette terrible trahison. 

Alors âgée de quelques mois, Lya confia Selene à son époux, lui déposa un baiser sur le front puis prétendit sortir acheter de quoi manger le soir et les jours à venir en prévision de l'hiver rude qui s'annonçait. 

Son long manteau sur les épaules et la capuche rabattue sur sa tête, Lya quitta la ferme familiale puis s'éloigna de la Vallée des Non-Mages, là où elle avait rendez-vous avec un ancien amant. A l'orée d'une forêt, reculé de la civilisation, elle attendit de longues minutes, sous des nuages chargés de pluie, sous un vent froid et saisissant avant qu'un Passage ne s'ouvre et qu'un Mage n'en sorte. 

Il s'était arrêté devant elle, grand, d'une prestance imposante. Ses mains restaient croisées devant son bassin et son air hautain ne quittait pas son visage. Ses cheveux blancs étaient soignés et ses yeux vairons fixaient la femme devant lui, celle qu'il avait jadis aimé. Celle qu'il pensait ne jamais pouvoir oublier. 

— Pourquoi as-tu demandé à me voir ? Si tôt ? demanda-t-il de sa lourde voix.

Lya retira sa capuche et leva ses yeux bruns vers son amant. 

— Je ne peux plus continuer. 

— Je vois que tu te portes bien, l'enfant est née ? 

— Aowyn, écoutes-moi... 

Il se pinça les lèvres et demeura silencieux. 

— Je ne peux plus continuer, je ne peux pas faire cela à Alfred, je... je l'aime d'un amour si puissant. 

Aowyn grimaça puis détourna le regard un instant. 

— Aïe... ça fait mal. 

— Tu savais pertinemment que toi et moi, ça ne fonctionnerait pas. A quoi t'ai-je servi si ce n'était à te rendre la vie plus simple. Tu t'es servi de moi, tu ne peux pas me demander de...

— Et Ronan ? l'interrompit-il. 

Lya déglutit difficilement, releva le menton, tenta de rester digne bien qu'elle sentait son cœur se serrer dans sa poitrine. 

— Cela fait quoi ? A peine huit ans que tu vit avec ce fermier, tu en as oublié ta véritable famille ? 

— Arrêtes... je t'en prie, sois clément avec moi. 

— J'ai toujours été clément avec toi, Lya. J'ai tout fait pour que ta vie soit bonne, j'ai tout tenté pour te garder auprès de moi. 

— J'étais ton objet... tu as pu faire ce que bon te semblait. Te voilà membre de l'Ordre, que veux-tu de plus ? 

— Toi, grogna-t-il. 

Lya ne trouva pas les mots, elle baissa les yeux, retroussa ses lèvres et ravala ses sanglots. Elle était sensible, elle ressentait aussi les émotions des autres. À cet instant, elle ressentit toute la peine et la douleur qu'elle provoqua au Mage Noir. 

— Je suis une Non-Mage. Ma place est dans cette vallée. 

— Tu es prête à tout laisser derrière toi ? À abandonner notre fils ? 

— C'était une erreur ! Je devais te servir, pas devenir ta femme. Ce qu'il s'est passé entre nous était une erreur et si j'ai mené cette grossesse à terme, c'est parce que j'avais peur des représailles ! 

— Tu avais peur de moi ? s'étonna-t-il. 

— Aowyn... tu es autoritaire, surpuissant et capricieux. Évidemment que j'avais peur de toi. 

— Mais Ronan, lui, n'a rien demandé.

— C'est toi qui voulait un fils ! 

Elle inspira profondément pour garder son calme de peur que quelqu'un se promenant dans le coin ne les entende discuter. 

— Tu m'avais dit, avant de partir, que tu souhaitais avoir de ses nouvelles, que tu souhaitais le voir le plus souvent possible. Dis-moi, Lya, qu'est-ce qui a changé ? Je t'ai laissé un an, le temps de donner naissance à ta fille, je ne me suis pas immiscé dans ta vie, j'ai tout respecté à la lettre. Dis-moi, pourquoi décides-tu maintenant de nous abandonner ton fils et moi ? 

Lya essuya d'un revers de la main la larme qui perla au coin de son œil, avant qu'Aowyn ne s'en rende compte. 

— Parce que je sais ce qui se trame dans l'ombre. Je sais ce qui arrive aux personnes qui voyagent. J'ai entendu parler de cette femme tuée violemment par les Hommes de Baralf le Brutal. Je sais ce que vous êtes en train de faire. Je sais que vous asservissez des Non-Mages. Vous tentez de prendre le pouvoir absolu, et je sais aussi que Ronan deviendra bien pire que toi. 

Elle releva les yeux pour lui dire cela. Aowyn restait immobile, muet, bien que blessé. Était-il si monstrueux que cela ? Difficile de contredire la parole d'une Médium, même s'il aurait aimé la persuader du contraire, c'était impossible. 

— Alors, je t'en conjure, laisse-moi partir, Aowyn. Je sais que tu feras de ton mieux pour prendre soin de notre... de ton fils. Mais moi, j'en ai fini avec les Mages. Je veux protéger ma fille. Je veux qu'elle puisse vivre le plus longtemps possible. J'aime cette vie là, sans magie, sans vices... Mon époux ne se sert pas de moi comme tu l'as fait, il m'aime, un point c'est tout. 

Elle marqua une pause, posa sa main sur la joue d'Aowyn qui ne disait plus un mot. Mi-elfe, mi-Mage, il dégageait une forte puissance mais également une sensibilité, celle des Elfes, bien qu'il savait la cacher. 

— Prends soin de Ronan mais je te demande une chose, le jour où tout basculera, ne le cherche pas. Il sera perdu. 

— Lya...

— Au revoir, Aowyn. 

Elle rabattit sa capuche sur sa tête et lui tourna le dos, afin de faire le chemin inverse jusqu'au marché du village, là où elle ramènerait de quoi souper le soir. Aowyn l'observa s'éloigner, blessé, un lourd sentiment d'abandon prenant place dans sa poitrine. Lya ne pouvait pas lui donner trop d'informations sur l'avenir, car l'avenir changeait chaque minute alors il savait qu'il ne pouvait pas lui poser de questions sur ce qu'elle savait. Simplement, il aurait aimé lui dire ces simples mots qu'elle refusa d'écouter une seconde de plus : 

— Je suis désolé... souffla-t-il. 

Il suivait les Mages, il suivait cette soif de reconnaissance et de pouvoir, si bien qu'il s'était servi d'elle, et que les sentiments qu'il avait éprouvé à son égard, n'étaient que dans un sens. Le sien. Quelle victime tombait amoureuse de son bourreau ? Il l'avait mise enceinte, mais en aucun cas c'était la vie dont elle rêvait et cela, il ne pouvait lui en vouloir, même si au fond, elle venait de lui briser le cœur. 

La seule chose pour Aowyn, qui ne pouvait être envisageable, était celle d'abandonner son fils, qu'importe ses actes. 

Vingt deux ans plus tard, Ronan détruisit l'Arbre de Vie par ses pouvoirs, animé par des paroles, mais pas celles de son père, qui s'efforçait de le retrouver quitte à franchir la limite que Lya lui avait imposé : retrouver Selene. 

Ronan était le déclencheur du Soulèvement. 

L'Ordre des Trois Couronnes en était le pilier. 


TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant