20 - La colère d'un père

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Gabriel 

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— Tiens toi droit, les épaules en arrière, le torse bombé et les abdominaux contractés. 

C'était les ordres que m'avait vociféré Baralf, quand je n'avais que seize ans et que j'étais en plein apprentissage, encore bien trop faible ou frêle pour partir sur le terrain. Fort heureusement, mon mental n'était plus une barrière, je pouvais tout endurer, sans jamais broncher. 

Alors je me tenais droit, les épaules en arrière, le torse bombé et les abdominaux contractés. Baralf avait levé le gourdin puis l'avait frappé contre mon ventre. Chaque fois que je bougeais, chaque fois que je gémissais de douleur, j'étais dans l'obligation de faire vingt pompes et vingt tractions puis on recommençait, jusqu'à ce que mon corps endure, que mon esprit se taise et que mes muscles soient suffisamment durs pour supporter n'importe quel coup, afin de protéger mes organes. 

Je finissais avec des bleus plus gros que moi, une fatigue déconcertante mais jamais aucune émotion ne venait perturber mes entraînements. Je ne pleurais pas de douleur, je ne manquais pas de motivation, je ne craignais pas les coups. J'étais une véritable machine à tuer, en pleine évolution et c'était ce qui faisait la fierté de Baralf. Il était enfin parvenu à construire une pâle copie de sa propre personne, après moultes souffrances. 

J'étais devenu un être obéissant, capable de tuer sans remord et de briser des vies, sans jamais m'en soucier. Jusqu'à ce que je rencontre Selene. 

Aujourd'hui, j'ai la sensation que ma perception du monde a changé. Une part de moi en est effrayée, parce que ça me rend vulnérable face à mes ennemis. Je ne serais plus jamais le Gabriel de quinze ans submergé par ses émotions, mais je ne suis plus non plus, le Mercenaire sans scrupules. Je suis dans l'entre deux, uniquement quand il est question d'elle


— Es-tu certain qu'elle se trouve ici ? pesté--je à l'intention de Dorius. 

— Non, je n'en sais rien. 

— Parce que tu viens juste de nous envoyer dans le cœur des Ténèbres, t'es au courant ? 

— J'ai fait de mon mieux, Gabriel ! 

Je secoue la tête et pousse un profond soupir. Je ne me sens pas à mon aise ici, je ne crois pas que cela soit dû à mes souvenirs entre ces murs mais plutôt à cause des Ténèbres qui vivent, là dehors, et qui habitent une partie de mon corps. 

Nous avançons dans les couloirs déserts du manoir de Baralf. Les murs de pierres ne sont pas décorés et les sols sont en parquet brut et sombre. Les fenêtres sont calfeutrées, je suppose, pour tenter de conserver une sérénité au sein de la demeure. Je ne doute pas qu'il utilise ses pouvoirs pour faire barrage mais ça ne tiendra pas éternellement. J'ai vu ce que les ténèbres font et il est certain qu'ils brisent toute sorte de magie. 

Je crois qu'Emilius a gagné du terrain, je me sens trop différent pour être réellement moi. En présence des ténèbres, j'ai l'impression que des fourmis parcourent mon corps sous ma peau avec cette terrible sensation de ne plus contrôler la totalité de mes muscles. 

Je crois que depuis l'Arbre de Vie et ma viré sous les ténèbres à Atya, les seuls moments où je me suis senti libre, c'était auprès de Selene. J'ai couché avec bons nombres de femmes au cours de ma triste vie, et jamais je n'avais senti mon cœur battre de la sorte en me liant à elles, même avec toutes ces femmes magiques que j'ai conquises. Pourtant, je ne saurais réellement me l'avouer. 

— Alors, Selene et toi, vous... 

Je jette un regard en biais à Dorius qui avance à mes côtés. Nous sommes tous les deux sur nos gardes et obligés de faire équipe alors que nous nous détestons. Il n'y a pas si longtemps, je le torturais chez les Érudits. 

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant