2 - La salle du Conseil

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Selene

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Baralf nous a ouvert un Passage pour rejoindre une île plus au Nord d'Easianor. Étrangement, cette île a survécu au fléau des ténèbres et semble encore debout à l'heure qu'il est. Elle est principalement faite de falaises, rochers et plages de sables noirs. Une île volcanique, qui s'en est tirée de justesse, visiblement. 

Nous atterrissons sur une plaine, là où le vent souffle, où les vagues s'échouent brutalement en contrebas. Les rochers sortent de la terre comme des tumeurs, de la mousse y pousse et les insectes y font leur nid. Cet endroit, en temps ensoleillé, doit être incroyable. Il n'y a pas de villes, l'île est trop petite. Il n'y a qu'une grande tour, qui semble presque tenir en équilibre sur une pointe, comme si elle lévitait. Elle ressemble aux rochers qui nous entourent, elle se font parfaitement dans la masse. Un domaine pour le moins incroyable. 

Je n'ai pas pu partir seule, Baralf a voulu m'accompagner et Fred aussi. Néanmoins, Baralf le Brutal étant connu de tous, il a pris l'apparence d'une femme, aux cheveux noirs, aux yeux de glace et il se fera appeler Tania. Je ne savais pas que les Mages avaient la particularité de changer d'apparence, mais Baralf est plein de surprises. 

— Tu devras leur dire que nous sommes tes conseillers, tes esclaves ni plus ni moins, me dit Baralf alors que nous avançons en direction de la Tour. 

— Je sais comment fonctionnait Emilius, enfin, les ténèbres, je veux dire, intervient Fred. Les ténèbres sont capables de contrôler n'importe qui et je suis encore en capicité de le faire croire s'il le faut. 

— Il a raison, ils te demanderont forcément une démonstration, rétorque Baralf. 

— Mais je ne ressens plus Adriel... je risque gros, soufflé-je. 

— Je suis un Mage Noir, en attendant qu'il ne manifeste à nouveau, j'userai de mes pouvoirs en cachette. 

— Et s'ils le découvrent ? 

— Qui de mieux que toi, Selene, est capable de savoir comment fonctionnait Emilius ? 

Je pousse un profond soupir. 

— Tu es la seule à être réellement entrée en contact avec lui et il est temps d'apprendre à mentir, il en va du sort de notre monde, reprend Baralf. 

Je sens la main amicale de Fred se poser sur mon épaule. 

— Nous sommes là, fais nous confiance. 

Je hoche la tête et nous voilà qui rejoignons la haute tour. L'entrée ressemble à une fente menant dans une grotte obscure et pourtant, lorsque nous la passons, je suis ébahie par ce que je vois. Le plafond a une telle hauteur que je me tords la nuque pour le regard. La pierre est sculptée méticuleusement, elle brille, comme si des diamants y étaient incrustés. La lumière passent les voûtes, se reflètent sur la pierre lisse et le calme qui règne ici en est presque perturbant. 

— Déclinez votre identité, ordonne une lourde voix dans notre dos.

C'est une voix de femme. Nous nous arrêtons, mon cœur s'emballe mais je me dois de rester convaincante. Je me retourne, lève la tête et aperçois, en hauteur, derrière une rambarde de verre, une femme au long manteau vert et au col relevé, qui nous fixe de ses yeux gris. C'est une elfe, grande et majestueuse.

— Je suis celle que vous cherchiez, déclaré-je en m'efforçant d'être sûre de moi. 

Je la vois plisser les paupières. 

— Je porte les ténèbres. N'est-ce pas ce que vous vouliez ? 

J'essaie de m'efforcer à garder une certaine assurance mais une Non-Mage face à une elfe, je ne fais pas le poids. Elle relève le menton, me jauge un sourcil haussé. 

— Je vous en prie, étrangère, avancez donc dans la salle du Conseil. 

Elle dit cela en balançant délicatement sa main. La porte, fermée jusque là, s'ouvre derrière moi dans un bruit sourd qui en fait trembler les murs. Je me retourne, en même temps que Fred et Baralf et j'avance, les bras le long de mon corps, vers la salle du Conseil. Je passe les lourdes portes en pierre, qui se referment presque aussitôt derrière moi et j'arrive dans ce qui me fait le plus penser à une fosse. Sur les sièges au dossier forgé se tiennent des individus que je n'ai jamais vu. Cette femme Elfe en son centre, puis un Mage aux cheveux blancs à sa gauche, néanmoins, ses oreilles en pointe me rappellent celles d'Aowyn, il n'est pas totalement Mage. Un autre Elfe se tient à sa droite.

Je pensais que l'Ordre des Trois Couronnes représentaient chacun d'entre nous et maintenant que j'y suis, je n'y vois que des Elfes et un potentiel Mage, rien de plus. Je sens que Baralf en est stupéfait lui aussi, mais il se tait, il est censé être rien d'autre qu'un esclave pour moi. 

— Présentez-vous à l'Ordre, ordonne l'Elfe. 

— Je m'appelle Selene, avant que tout cela ne me tombe dessus, j'étais une Non-Mage. Mais j'étais en formation pour devenir Sentinelle quand...

— Mais oui, intervient le Mage aux cheveux blancs. Je me souviens de vous ! 

La femme Elfe lui jette un regard, les sourcils froncés, interloquée. Je le toise de longues secondes, sans me souvenir de son visage bien que ces cheveux ressemblent à ceux de cet homme encapuchonné qui...

— Je vous ai pourtant noyée dans le fleuve ! 

Tout me revient en mémoire. C'est cet homme qui m'a noyée avec brutalité dans le fleuve de l'Arbre de Vie. C'est lui qui a libéré les Ténèbres. C'est lui, le fils d'Aowyn. 

— Je ne me souviens pas de...

— C'est incroyable, m'interrompt-il. Incroyable

— Alors ce serait vrai ? demande l'Elfe. Vous portez en vous les ténèbres ? 

Je hoche la tête. 

— J'ai touché l'Arbre, j'ai bu l'eau du fleuve... et j'ai commencé à sentir en moi, une drôle de sensation jusqu'à ce qu'il me parle. 

— Il ? répète l'Elfe. 

— Emilius de Bellever. 

Les yeux du Mage aux cheveux blancs se mettent à pétiller, comme un enfant devant un nouveau jouet. Comme si j'étais ce qu'il recherchait depuis longtemps tandis que cette femme au charisme percutant reste stoïque et me dévisage, les paupières plissées. 

— Nous allons devoir vous demander de nous le prouver, déclare l'homme à ses côtés. 

— Bien-sûr... marmonné-je. 

Je me tourne vers Fred, je sens le regard pesant de Baralf sur moi et avant que nous ne puissions mettre à l'œuvre notre tour de magie, la femme Elfe se lève et m'ordonne d'arrêter. 

— Cessez, prouvez-nous la véracité de vos propos, seule. Et pour cela, les règles seront très simples et non discutables : si vous souhaitez intégrer l'Ordre des Trois Couronnes car vous êtes celle que nous attendions tant, vous devrez relever trois épreuves qui mettront en évidence vos sombres capacités. Si vous échouez, nous vous exécuterons pour tentative d'usurpation. 

Je ne dis rien, je la regarde, j'affronte son regard gris, pétrifiant. Tout notre plan tombe à l'eau. Baralf et Fred ne me seront d'aucune utilité. Il est impossible de tenter de berner les Elfes. Ce sont des êtres dotés d'une grande intelligence et un sens de l'observation à toute épreuve. Je suis comme une biche jetée dans la fausse aux loups mais de toute façon, que puis-je faire d'autre ? 

Je vois l'homme aux cheveux blancs afficher un sourire satisfait et jubilatoire et les deux Elfes, plus vieux, plus sages, me fixer comme si j'étais une menace.

Ils ont raison.
J'en suis une. 

Et c'est de toi dont j'ai besoin, Adriel. 

TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant