TENEBRIS LUMINA : L'Arbre de Vie [INTÉGRALE]

26 - Le départ

Selene

•••

Je me tiens devant le buffet, je goute aux mets préparés pour notre sacrement. Il y a des baies, des petits gâteaux sablés et des jus provenant de différents fruits. Évidemment l'alcool n'est pas exclu, mais je n'en boirai pas. J'en ai fait suffisamment fait les frais chez Dorius, j'ai vomi sur la route en allant chez Hoestrid tant j'avais bu.

D'ailleurs, en parlant du loup, Dorius Grygorian semble avoir été convié à ce pot et il se place juste à côté de moi. Je garde mon verre dans la main et fixe la sculpture entreposée  devant moi, derrière la table du buffet.

— Je vois que votre plan fonctionne à merveille, déclare-t-il.

Je bois une gorgée de mon verre.

— Ne tâche pas de tout gâcher alors.

— Je ne me le permettrai pas Selene, mais restes prudente, Gabriel est vicieux.

— J'ai l'impression que tout le monde l'est autour de moi.

Dorius se tourne vers moi, je fais de même puis lève les yeux pour croiser son regard noisette.

— Il m'est difficile d'agir à l'encontre des dictatures qui me sont imposées. En tant que Mage, je me doit de rester discret et surtout, de ne pas faire de vagues.

— Mais tu oses tourner le dos aux Érudits.

— Sauf si un jour, je parviens à trouver le courage de libérer ces enfants. J'aimerais le trouver, mais je ne l'ai pas. Rien que pour cela, je t'admire Selene. Ton courage est source d'inspiration.

Je finis mon jus, les mâchoires crispées, ma main serrée sur le verre. Moi, courageuse ? Je n'en suis pas certaine. La terreur qui m'anime est si grande que j'en fais des cauchemars chaque soir. Je ferme les yeux, et je revois le visage grisâtre de mon père, ses yeux figés. Il n'y a pas une nuit sans que je ne verse de larmes, parce que je n'ai pas réussi à rentrer à temps. La colère qui m'anime est si grande et pourtant... je ne comprends pas pourquoi je ne parviens plus à haïr Gabriel pour ce qu'il a fait.

— Tu ne me connais vraiment pas, Dorius, rétorqué-je la gorge nouée. Je ne suis pas courageuse. Je survis. Je peux comprendre ce que tu ressens, mais je ne peux pas comprendre que tu puisses faire autant de mal à des innocents. Ces enfants sont arrachés à leur famille et tu ne bouges pas le petit doigt, tu y participes. J'ai cru en toi une fraction de seconde mais l'autre jour, devant le roi... j'ai compris que je m'étais trompée.

Dorius baisse la tête, les lèvres retroussées. Je le vois qui inspire profondément, lorsqu'il relève ses yeux tendres vers moi, il s'apprête à parler mais Gabriel nous sépare en se postant juste entre lui et moi. Il s'enfourne un biscuit dans la bouche puis se tourne vers Dorius.

— Pardon, j'ai tendance à ne pas voir les Mages quand ils se dressent devant moi, déclare-t-il sarcastique.

Je vois Dorius serrer et desserrer les mâchoires.

— Les Mages sont peut-être invisibles pour toi et pourtant... ils peuvent te faire disparaître en une fraction de seconde, vocifère ce dernier.

— Oh, mais j'ai hâte de te voir à l'œuvre, maintenant que tu n'as plus ton Animal.

— Gabriel, soupiré-je.

J'en veux à Dorius mais pas au point de lui rappeler qu'il n'a plus son Ours près de lui. Il se tourne vers moi, un sourcil haussé. Dorius le contourne, saisit mon bras puis se penche vers moi pour me parler.

— Sois toujours prudente, Selene, les apparences sont parfois trompeuses.

Je hausse les sourcils. Évidemment qu'elles le sont puisque Dorius Gyrgorian lui-même m'a menti. Il lance un dernier regard empreint de dédain à Gabriel puis quitte la pièce. Les convives toujours présents semblent apprécier la soirée. Moi, j'étouffe. Je ne rêve que d'une chose : quitter ce palais maudit.