Chapitre XXXVII

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Des cris stridents résonnaient dans la forêt. Des cris de femme. Une femme hurlait jusqu'à la mort au loin. Ne pouvant ignorer ce son, elle courait en sa direction. Elle cherchait à savoir d'où provenait ces hurlements qui lui glaçaient le sang. Il fallait qu'elle le découvre pour pouvoir aider cette pauvre femme qui ne cessait de crier, cherchant probablement de l'aide. Courant entre les arbres, elle sentait qu'elle commençait à manquer d'air tant sa course était effrénée. 

-Où êtes-vous ?! hurla-t-elle.

Les cris continuaient sans réponse à sa question. Elle courrait encore et encore, ayant l'impression de faire du surplace bien que les cris se rapprochaient. Au détour d'un arbre, elle tomba nez à nez avec la femme qui hurlait. Elle la fixa dans les yeux, figée. Elle ne pouvait détourner les yeux, parler, bouger. Son souffle était même coupé. Une lame, sortie de l'ombre, se posa sur la gorge de la femme et elle glissa vivement sur sa peau. Du sang s'en écoula, abondamment. Elle bégaya, ne pouvant réellement parler, comme paralysée avant qu'un cri ne s'élève dans l'air. Cette fois, ce n'était plus la femme qui criait.

Rhiannon se redressa en sursaut, hurlant avant de se rendre compte qu'elle était à présent éveillée, ne voyant plus rien.

-Nyala, souffla-t-elle en glissant sa main sur sa propre gorge, le souffle court tout en étant en sueur.

Elle soupira longuement, s'allongeant de nouveau. Elle n'avait plus la vue mais ses rêves, elle les voyait encore. Ils étaient même un peu trop réaliste. Ce n'était pas le premier rêve de ce genre qu'elle faisait depuis sa séparation avec Nyala. Il lui arrivait souvent de la voir se faire tuer d'une façon ou d'une autre. Elle détestait ces cauchemars. Il fallait dire que très peu de personnes devaient apprécier de voir la personne qu'ils aimaient se faire tuer. C'était toujours l'acte d'une ombre mystérieuse. Très certainement Tiphon car elle ne pouvait définir à quoi ressemblait le roi. Elle ne l'avait jamais vu, pas de son souvenir. Ces mauvais rêves étaient pénibles, d'autant que ce réveil impromptu la perdait dans le temps. En général, elle se réveillait au son des marchands mais elle ne les entendait pas. Les rues étaient calmes. Rhiannon en concluait donc qu'il devait encore faire nuit. Elle ferma les yeux, espérant pouvoir se rendormir. Quelque chose vint taper son pied et elle fronça les sourcils.

-Qui est-ce ? grogna-t-elle.
-Personne, souffla l'inconnue qui refusait toujours de lui donner un nom.
-Vous ! Vous avez encore disparu. Il faut arrêter de faire cela. J'ai l'impression d'être la folle de la cité qui parle seule à chaque fois que je m'en rends compte, dit-elle en se redressant. Est-il l'heure de s'entraîner ? demanda-t-elle, se fichant bien qu'il fasse nuit.
-Ma foi, jour ou nuit, tu n'y vois rien. Allons donc t'entraîner, répondit-elle.

Rhiannon n'hésita pas et elle se leva. La femme s'avança sans elle et elle fronça à nouveau les sourcils. Visiblement, elle devait trouver son chemin seule. Elle avait repéré les sons et les odeurs mais l'heure ne lui permettait pas d'entendre le forgeron ou le charpentier. Elle soupira et prit sa canne avant de marcher, espérant ne pas s'être trompée. D'habitude, Jenny l'emmenait. C'était la première fois que l'inconnue la réveillait alors qu'il faisait encore nuit. Alors qu'elle avançait, elle sentit une forte odeur de métal. Elle suivit donc celle-ci avant de retrouver de la lavande. Finalement, le parfum de la sciure vint chatouiller ses narines. Avec Jenny, elle avait prit le temps de compter ses pas aux allers et aux retours. Elle compta donc, s'enfonçant dans la forêt. Elle s'avança jusqu'à tomber sur un arbre. Elle le toucha du bout des doigts mais il n'avait aucune écorchure.

-Presque, c'est celui d'à côté, lança l'inconnue.
-Je l'aurai la prochaine fois, souffla Rhiannon avant de sortir son épée de son fourreau.
-Je vois que tu es prête à te battre, dit l'inconnue amusée.
-Comme à chaque fois, lança-t-elle, déterminée.

L'inconnue s'approcha et Rhiannon se prit son premier coup. Depuis qu'elle l'entraînait, elle n'était pas encore parvenue à la toucher. Elle ne l'entendait toujours pas. La princesse méditait tous les jours tandis qu'elle se déplaçait autour d'elle mais ses pas étaient imperceptibles. Plus légère qu'une plume était l'inconnue. Il lui arrivait d'être frustrée mais elle essayait de transformer cela en entêtement. Elle refusait d'abandonner. Il lui arrivait d'en avoir envie, de se dire qu'elle n'y arriverait jamais mais elle ne pouvait l'accepter. Un jour où son moral était réellement au plus bas, elle entendit une enfant courir non loin d'elle en riant et sa mère lui cria après. Son prénom était Thera. Elle eut la sensation que c'était un rappel des dieux. Elle ne pouvait abandonner car celle de son enfance s'était sacrifiée pour elle, tout comme d'autres. Tout comme Ezio. Tout comme Nyala. Chaque fois qu'elle avait le désir de lâcher, elle repensait à eux. Elle pensait aux Thera qui foulaient encore la terre de ce monde. Son but était de protéger les neuf royaumes. Elle trouverait un moyen. Seule ou avec des alliés. Peu lui importait mais Tiphon quitterait le trône de son père. C'était une promesse qu'elle s'était faite à elle-même. Les Venom ne règneraient plus. Plus jamais. C'était pour cela qu'elle s'entraînait avec tant d'acharnement, prenant coup après coup. Son corps était couvert de bleus et malgré la douleur, elle s'entêtait. 

Un énième coup vint lui endolorir le corps. Alors que d'habitude elle n'en prenait qu'un par un, l'inconnue semblait en avoir décider autrement. Elle la frappa encore et encore et encore. Rhiannon encaissa jusqu'à un certain point où elle tomba au sol, lâchant son épée pour se protéger de ses mains.

-Ca suffit ! Arrêtez ! cria-t-elle.

Les coups de bâton s'arrêtèrent et elle se laissa tomber au sol. Elle avait mal. Énormément mal, partout. Elle grimaçait de douleur, ayant l'impression qu'elle ne pouvait plus bouger.

-Tu es faible... souffla la femme.
-Je vous emmerde, grogna-t-elle. C'est facile à dire quand on voit !
-Tu ne te bats pas pour les bonnes raisons. Tu n'y arriveras jamais. Je perds mon temps avec toi, lui balança-t-elle d'un ton froid.
-Je vous interdis de me laisser tomber, dit-elle en se redressant, non sans difficulté.
-Tu crois pouvoir me donner des ordres ? se moqua-t-elle. Tu es incapable de dire où je me trouve et tu penses sincèrement pouvoir me dire quoi faire ?
-Vous avez pas le droit de me donner de l'espoir et de me le retirer ! Tous les jours, je suis ici et je me bats ! s'exclama Rhiannon.
-Tu prends des coups, rectification, rétorqua la femme.
-Peu importe ! J'apprends ! C'est peut-être lent, trop lent pour vous, mais j'y mets toute mon énergie, tout mon cœur ! affirma la princesse. Je me bats pour les bonnes raisons ! Je me bats pour venger ceux que j'ai aimé et qui m'ont aimé assez que pour donner leur vie pour moi mais pas seulement ! Je me bats pour tous ces enfants, toutes ces personnes, qui voient leurs maisons et leurs villages brûler, qui sont peinés par la perte de leurs êtres chers, qui voient leurs amis et leurs familles se faire massacrer jour après jour, qui voient leur avenir anéanti en un seul coup d'épée, qui... qui... Argh ! Je me bats pour ceux qui souffrent, comme moi ! Je n'abandonnerai jamais ! Et je ne suis pas faible ! J'ai vécu des choses que peu auraient supporter mais je suis là ! Je suis ici et j'encaisse vos coups ! Quelqu'un de faible se serait incliné depuis longtemps ! Mais moi, je suis encore là ! Alors... Si je dois parcourir les neuf royaumes pour vous retrouver, dans ce cas je vous chercherais dans chaque rue existante, je vous chercherai derrière chaque arbre, chaque buisson, je vous chercherai dans le fond de toutes les mers mais je refuse d'abandonner ! Peut-être qu'aujourd'hui je prends des coups, sûrement demain encore et probablement dans une semaine mais j'y parviendrais ! Je ne sais pas quel est votre secret pour vous déplacer si silencieusement mais je finirais par vous entendre, vous sentir et là, je vous toucherai ! Je finirais par vous battre ! J'y arriverais ! clama-t-elle pendant qu'elle reprenait sa position de combat, épée à la main. Maintenant, amenez-vous que je vous botte le cul !

L'inconnue l'avait écouté, un sourire se dessinant et s'élargissant au fur et à mesure qu'elle parlait. Elle aimait voir la détermination sur son visage. Ces paroles n'étaient pas lancées en l'air. Elle le pensait sincèrement et cela se voyait. Elle voulait y arriver et avec un tel esprit, elle y parviendrait. La femme en était convaincue. Cependant, elle ne pouvait dire quand est-ce que cela serait possible. Puisque la jeune femme voulait en découdre, elle la frappa à nouveau dans la cuisse. Rhiannon le sentit et elle grogna de douleur. Ses coups étaient toujours vifs et secs. Ils claquaient sur sa peau malgré ses vêtements. C'était très éprouvant mais elle ne lâcherait pas. Tant qu'elle ne parvenait pas à se battre avec cette femme, elle continuerait tous les jours jusqu'à ce qu'elle y arrive ou qu'elle succombe. Le répit et l'abandon n'étaient pas des options envisageables pour Rhiannon. Elle continua donc de se prendre des coups sur les corps : bras, mains, jambes, dos et ventre.

-Pour qui te bats-tu réellement ? demanda l'inconnue.
-Pour ceux qui souffrent, je vous l'ai dit ! affirma Rhiannon.
-Pour qui te bats-tu réellement ? répéta-t-elle.
-Mais que voulez-vous comme réponse ?! Je viens de vous la donner ! répondit la princesse.
-Non. Tu me donnes une réponse mais pas la vraie réponse, rétorqua la femme.
-Je... Pour ceux qui souffrent ! s'entêta-t-elle.
-Pour qui te bats-tu réellement ? continua l'inconnue, lui donnant un coup pour chaque mot prononcé.
-Pour ceux qui... fit-elle avant d'être interrompue par un coup.
-Pour qui te bats-tu réellement ? réitéra la femme.

Rhiannon grogna, se retenant de répondre la même chose. Pour qui se battait-elle ? Elle était sincère lorsqu'elle parlait des autres mais l'était-elle entièrement ?

-Je... Je me bats pour mes parents. Je me bats pour mon frère. Je me bats pour Thera. Je me bats pour Shanae. Je me bats pour Arwin. Je me bats pour Tommy. Je me bats pour Herard. Je me bats pour Ezio. Je me bats pour mon village en cendre. Je me bats pour Jordin. Je me bats pour Garmen. Je me bats pour chaque membre de la rébellion. Je me bats pour Nyala. Je me bats pour moi ! Mais je me bats aussi pour les autres, pour l'avenir des neuf royaumes qui souffrent en silence depuis trop longtemps ! Je veux seulement que cet imposteur quitte le trône ! Je veux que sa tête soit sur une pique ! Je veux qu'il souffre comme il m'a fait souffrir durant toutes ces années ! Je veux qu'il me regarde dans les yeux et qu'il crève comme un chien, la gueule ouverte ! Je veux les venger et me venger ! Je me battrais pour tout ça jusqu'au bout ! C'est ça la réponse que vous vouliez ? Que je suis un animal enragé, assoiffé de vengeance ? Que tout ce que je désire, c'est voir la maison des Venom brûler dans les enfers de Talia ? Que je désire être le chaos qu'ils infligent au monde ? Que je les hais du plus profond de mon être et de mon âme ? répondit-elle, s'énervant à mesure qu'elle parlait, laissant sa colère s'exprimer.
-Dresse une liste de tous ces noms, toutes ces personnes. Récite la ensuite, lui ordonna la femme.
-Hum... En quoi est-ce que cela va m'aider ? demanda-t-elle, ayant reprit son calme.
-Obéis, répondit simplement l'inconnue.
-Mes parents... dit-elle avant de prendre un coup. Aïe ! Mais...
-Continue.
-Mon frère, poursuivit Rhiannon, le bâton s'abattant à nouveau sur son corps. 

Elle s'arrêta, ne comprenant pas ce qu'elle voulait et pourquoi ces coups supplémentaires. Était-ce pour la mettre en colère ? Était-ce purement sadique ? Était-ce pour la faire souffrir davantage ? Rhiannon eut comme une illumination. Elle transférait la douleur de toutes ces pertes sur son corps. Sa peine devenait physique et non plus seulement mentale. Une façon de la forcer à l'accepter et à se défendre contre celle-ci. Ou alors, cela n'avait rien de spirituel et elle voulait l'obliger à encaisser les coups jusqu'à ce qu'elle arrive à les parer. Rhiannon préférait penser à la première possibilité. Plutôt que de maudire cette douleur, elle allait la chérir. C'était une leçon douloureuse mais elle valait le coup. Elle avait énormément souffert mais ceux pour qui elle voulait se battre en avaient autant bavé qu'elle. Vivant ou mort. 

-Thera. Shanae. Arwin. Tommy. Herard. Ezio. Jordin. Garmen. La rébellion. Nyala. Mon père. Ma mère. Mon frère. Thera. Shane. Arwin. Tommy. Herard. Ezio. Jordin. Garmen. La rébellion. Nyala. 

Rhiannon avait changé d'attitude. Au lieu d'agir comme un animal irréfléchi qui fonçait dans le tas, elle s'était redressée. Elle avait rangé son épée dans son fourreau. Elle se tenait droite. Elle avait poussé ses pieds sur le sol, écartant ceux-ci. Elle avait placé ses mains au niveau de son nombril, le dos de sa main posé sur la paume de l'autre, les deux paumes tournées vers le ciel. Elle avait fermé les yeux et se concentrait sur sa respiration. Elle inspirait, citait le nom et expirait. Elle prenait volontairement les coups, se concentrant sur les bruits qui l'entouraient. Elle était prête à tout, même à souffrir à l'excès, pour y arriver.

-Mon père. Ma mère. Mon frère. Thera. Shanae. Arwin. Tommy. Herard. Ezio. Jordin. Garmen. La rébellion. Nyala. Mon père. Ma mère. Mon frère. Thera. Shanae. Arwin. Tommy. Herard. Ezio. Jordin. Garmen. La rébellion. Nyala.

Plus les noms défilaient et plus son corps s'endolorissait mais plus elle sentait son esprit s'alléger. Elle souffrait physiquement mais penser à chacune des personnes qu'elle avait sincèrement aimé lui faisait étrangement du bien. Pour combler la douleur qu'elle ressentait, elle repensait aux bons moments passés avec chacun d'eux, à l'amour qu'ils leur avaient apporté. Elle faisait ressortir le meilleur d'eux au lieu de repenser au pire. Avant d'être des morts, ils étaient des êtres chers et il ne fallait pas qu'elle l'oublie. Elle voulait se venger pour eux et pour elle-même mais ce ne devait pas être tout ce qui la motivait. Elle devait aussi penser à tous ces moments ensemble qui faisaient qu'elle désirait tant les venger. Elle continuait donc de réciter leurs noms, l'un après l'autre, se concentrant sur sa respiration, les odeurs qui l'entouraient, les sons.

-Mon père. Ma mère. Mon frère. Thera. Shanae. Arwin. Tommy. Herard. Ezio. Jordin. Garmen. La rébellion.

D'un seul coup, Rhiannon sortit son épée de son fourreau et elle para un coup qui lui arrivait droit sur la cuisse.

-Nyala... souffla-t-elle en ouvrant les yeux.

The Lost Kingdom [EN COURS]Where stories live. Discover now