La Troupe des Damnés

I.

 Horty ne pouvait s'empêcher d'admirer le mécanisme qui ouvrait les portes de la capitale. Ses milliers de petits engrenages parvenaient à s'accorder pour déplacer ces masses qui semblaient inamovibles.

Le vent chaud faisait battre sa cape en toile. Elle abaissa sa capuche pour mieux admirer le reflet des rayons d'Astra sur les battants dorés, laissant ses cheveux bruns aux mèches rouges flotter librement. Amazon n'était pas réputée pour son humilité et la richesse de la ville pouvait être observée de loin grâce au désert qui l'entourait.

— J'avais oublié à quel point c'était bruyant, lança ZeratoR à côté d'elle.

Lui aussi était sorti de la caravane pour profiter du spectacle. Les cliquetis que l'esprit d'Horty avait jusque-là ignorés l'assourdirent soudain.

— C'est toujours aussi brillant ? demanda-t-il.

— Je sais pas comment c'était avant, mais en tout cas c'est bien éblouissant, ouais.

— Tu veux mes lunettes ? plaisanta le meneur de la troupe.

Il était constamment affublé de verres opaques à montures vertes qui masquaient ses yeux rendus presque aveugles par un séjour dans les centres de purge du gouvernement. Horty ne l'avait pas connu avant sa mutilation. Certains membres de la troupe, si. C'était eux qui l'avaient mise au courant de ce qui lui était arrivé. Le meneur de la troupe de Twitch n'était pas du genre à s'étendre sur les moments difficiles de sa vie et préférait prendre les difficultés avec un sourire. Ce n'était pas exactement le cas de l'Autre.

— Tu comptes me dire pourquoi tu voulais vraiment venir ici, ou tu penses pouvoir me le cacher ? lança-t-il soudain.

Elle garda le silence, trop surprise pour répondre quoi que ce soit. Elle pensait avoir été assez discrète pour que ses intentions ne soient pas dévoilées aussi tôt. Est-ce que ZeratoR allait tenter de la dissuader ?

— Je vais pas essayer de t'empêcher de faire quoi que ce soit, répondit-il comme s'il avait lu dans ses pensées. Je comprends et même si je suis pas fan, je préfère qu'on soit là pour t'aider que de te voir prendre des risques seule. Mais je peux pas non plus faire comme si c'était rien. Les villes nous évitent et on évite les villes. C'est pas un hasard. Alors, fais attention, d'accord ?

— Je... Je sais pas trop quoi dire, j'avoue... Je vais essayer ? Et... merci ? bafouilla-t-elle.

— C'était une question rhétorique. Ça va être notre tour. Les gardes sont rarement patients avec nous, ça serait bête d'être bloqués à l'entrée.

ZeratoR adressa un sourire à la jeune femme et remonta avec agilité sur le convoi. Horty se demandait si elle réussirait à se déplacer avec autant d'aisance si elle perdait la vue un jour. Elle se fit la remarque qu'elle était déjà incapable de l'imiter alors qu'elle était en pleine possession de ses moyens.

Elle jeta un dernier regard vers les engrenages hypnotisants avant de se glisser à son tour dans l'une des caravanes du convoi. Elle se faufila entre les accessoires et les membres de la troupe à moitié endormis avant de s'installer près de Baghera. Elle fit miauler Pouic qui lui avait volé sa place et s'installa.

Baghera avait beau avoir des cheveux blonds, des yeux clairs, et vingt centimètres de plus qu'elle, c'était sa sœur. Elles ne partageaient peut-être pas le même sang, mais ça ne faisait rien. De toute façon, au sein de la Twitch, les liens du sang étaient inexistants. Rejoindre la troupe, c'était adopter une nouvelle famille. Plus rien n'existait en dehors de cette cinquantaine de personnes jetées là par les aléas de la vie, après des années d'errances et de souffrances.