XVII.

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 Rayenne n'aurait pas dû être là. Il aurait dû être dans son palais, dans son lit douillet, à profiter de la brise fraîche du soir. Pas au milieu de ces bâtiments métalliques qui retenaient la chaleur et la moiteur de la journée pour les souffler au visage des aventuriers nocturnes. Et encore moins dans cette partie de la ville basse.

Pourtant, il était là.

Il se faufilait grâce à la cape de discrétion que sa mère lui avait léguée. Il avait refusé de l'utiliser pendant des années, sous prétexte qu'il ne voulait rien à voir avec elle. C'était Antoine qui l'avait convaincu de passer outre ce dégoût premier. Antoine qui avait changé tellement de choses dans sa vie quand il y était entré.

Antoine qui lui avait annoncé que tout ça, c'était fini. Qu'il fallait passer à autre chose, comme si c'était aussi simple. Antoine qui s'était laissé embrasser et qui aurait peut-être même pu aller plus loin s'il n'y avait pas eu cette crise avec Florence et sa copine.

Mais lorsque Antoine avait quitté la pièce, le prince héritier était convaincu qu'il allait revenir. Après tout, il disait ça seulement pour se faire désirer, au fond de lui, il lui appartenait toujours. Il ne l'avait seulement pas encore réalisé. Ils étaient de la même classe. Du même monde. Il ne pouvait pas se contenter d'une fille d'en bas. C'était impossible.

Sauf que les jours étaient passés, sans nouvelles d'Antoine. Sans nouvelles de Florence non plus, mais ça, c'était normal. Et alors, le jeune homme avait commencé à se dire qu'en fait, ce n'était peut-être pas un bluff. Lui qui était habitué aux minauderies et aux jeux de pouvoir de la cour ne pouvait plus imaginer qu'on lui annonce frontalement quelque chose sans avoir une idée derrière la tête.

Avec Antoine c'était différent. Ils avaient toujours été honnêtes l'un avec l'autre. Même s'il avait préféré l'oublier, c'était le cas. Ce qui signifiait... qu'il ne mentait pas. Ou pas complètement.

Il avait attendu encore un peu avant de se rendre enfin à l'évidence. S'il voulait le revoir, il devait aller à lui.

C'était pour ça qu'il se faufilait entre les caravanes et autres bâtiments de fortune du cirque dans lequel l'ancien noble était venu s'échouer.

L'endroit semblait vivant. Plusieurs fenêtres étaient allumées et on pouvait distinguer de la musique et des discussions un peu partout. Mais l'oreille du prince héritier se laissait guider par une mélodie qu'il connaissait bien.

C'était leur chanson. Ou presque. Il y avait bien quelques notes qui ne collaient pas par ci ou par là, mais c'était globalement la chanson qu'Antoine lui avait dédiée un jour où Rayenne lui avait demandé de jouer pour lui. Comme quoi, il pensait encore à lui !

Personne n'était là pour voir le sourire triomphant qu'il affichait. Il s'approcha du chapiteau d'où provenait le son. Silencieusement, se délectant de ces notes qui lui avaient tant manqué. Une fois qu'il eut le dos collé à la toile, il ferma les yeux.

Une larme le surprit.

Depuis combien n'avait-il pas pleuré d'autre chose que de douleur ? Là, il ne souffrait pas. Au contraire, il avait l'impression qu'il allait s'envoler d'un moment à l'autre. Déployer ses ailes et partir à la conquête du ciel.

Il se rendit compte de son erreur. La première fois qu'il l'avait à nouveau entendu jouer, il avait remarqué qu'il jouait différemment. Il ne suivait plus la partition à la pause prêt comme il avait l'habitude de le faire et comme tous les plus grands pianistes de là-haut le faisaient. Ses pauses étaient plus erratiques, plus chaotiques... il avait mis ça sur le compte d'un manque de pratique, quelque chose qui se réglerait une fois qu'il pourrait reprendre ses répétitions.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant