IX.

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 La première représentation de la saison. C'était toujours un moment stressant. L'heure de vérité arrivait bien trop vite au goût d'Antoine. Au moins, pour ce spectacle, il n'était pas au centre de l'attention.

En surplomb de la scène, entre l'ombre et la lumière au milieu de ses instruments, il avait le contrôle de la situation. La troupe alternait entre plusieurs spectacles aux thèmes différents. Cela leur permettait de pouvoir s'établir assez longtemps à un seul endroit et de faire tourner les membres. Il leur arrivait d'effectuer jusqu'à trois représentations dans une seule journée, autant dire que s'ils devaient tous y participer, il aurait été impossible de tenir le rythme.

Pour les premiers jours, ils se concentraient vraiment sur les arts du cirque. Jongleurs, gymnastes, clowns et dresseurs étaient à l'honneur. Les musiciens étaient relégués au rôle de simples accompagnateurs, ce qui lui allait très bien.

Il avait besoin d'un peu de temps pour s'habituer à son nouvel environnement. Sans compter que l'affiche qui proclamait sans honte : « Le meilleur pianiste de sa génération » ne l'aidait pas à prendre les choses à la légère. Il avait bien essayé d'adoucir l'éloge avec un sympathique : « Un pianiste franchement OK », malheureusement l'humour n'avait pas l'air de fonctionner et il s'était retrouvé avec une salle à moitié vide, peu rentable.

Il était donc redevenu le meilleur pianiste de sa génération. C'était bien le moindre des efforts qu'il pouvait faire pour rendre à cette famille d'adoption ce qu'elle lui avait apporté.

Depuis le balcon, il pouvait profiter des projecteurs sans qu'ils soient pointés sur lui. Et puis il n'était pas seul. Aujourd'hui il officiait en compagnie de Baghera et Tip Stevens, que tout le monde appelait Tip parce que c'était plus simple et que s'il voulait qu'on le respecte il avait qu'à choisir un truc plus court. Comme lui.

Une chorégraphie se mettait naturellement en place entre eux. Sur les claviers, électrophones, batteries et tout le barda d'instruments que des générations de passionnés avaient créés, modifiés, personnalisés et légués à la postérité. Ça avait été l'une des plus belles découvertes d'Antoine. Lui qui avait été confiné à la rigueur du piano dès son plus jeune âge avait enfin pu laisser exprimer son univers... c'était peut-être aussi en partie pour ça qu'il n'appréciait pas vraiment les affiches qui vantaient son talent. Il n'était pas ça. Il n'était plus ça. Il était bien plus. Plus libre...

L'entrée d'Ultia eut le mérite de calmer son cerveau en ébullition. Elle était magnifique. Horty avait vraiment élaboré un costume bluffant, et le maquillage la rendait presque méconnaissable. Sa petite-amie ressemblait à une déesse descendue sur terre pour les honorer de sa présence.

Avec un sourire rayonnant, elle commença son numéro, dirigeant avec une main de maître les rongeurs qu'elle avait dressés. Le public alternait entre cris de peur quand les bestioles s'approchaient un peu trop, et exclamations d'admiration quand les rats revenaient docilement vers leur maîtresse pour réaliser d'impressionnants tours.

— Toujours aussi bonne ta copine, remarqua Baghera.

— Pardon ?

— Non, mais je veux dire... douée, quoi ! Pas bonne dans le sens de belle, tenta-t-elle de se rattraper.

— T'es en train de dire qu'elle est moche, c'est ça ?

— Mais non ! Elle est super belle ! Oh... c'est bon, arrête ! Tu sais très bien ce que je voulais dire !

Antoine souriait. Taquiner Baghera était toujours un plaisir.

Quelques mètres plus bas, Ultia s'aventurait dans le public pour chercher un volontaire. Antoine s'installa au clavier électronique. Il accompagnait seul cette partie du numéro.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now