VII.

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 Antoine errait depuis un moment entre les roulottes du convoi et les tentes. Il avait réussi à se glisser dehors sans réveiller Ultia et s'en félicitait. Il avait naïvement pensé que ses insomnies étaient derrière lui, alors qu'il suffisait qu'un fantôme du passé revienne pour le plonger à nouveau dans le chaos.

Sans s'en rendre vraiment compte, son errance l'avait mené devant la cabane de DFG. Peinte de couleurs vives, divers slogans proclamaient que le sorcier était capable de prédire leur avenir aux plus audacieux, en les mettant cependant en garde. Rares étaient ceux capables d'entendre ce qu'il avait à dire. Une lumière vacillait à l'intérieur.

La cabane voisine était plongée dans l'obscurité. C'était celle de JDay. Celle-ci était plus discrètement décorée et annonçait plus sobrement pouvoir vous faire oublier le pire. Lorsqu'il venait d'arriver, Antoine avait assidûment fréquenté les lieux. JDay l'avait allégé de nombreux souvenirs dont il était devenu l'éphémère gardien. C'était l'archiviste de la troupe, chargé de se souvenir pour tous les autres.

La porte de la première case était entrouverte. Était-ce une invitation ?

— Tu comptes rester là à hésiter toute la nuit ? plaisanta une voix à l'intérieur.

Antoine sursauta un peu avant de pousser le battant.

— Tu m'as fait peur, grommela-t-il.

— Désolé, c'était pas mon intention. Mais j'aimerais bien aller me reposer un peu et tu t'es fait attendre.

— C'est que ta prévision était à chier si tu savais pas l'heure à laquelle j'arrivais.

— La divination c'est pas une science exacte, je fais ce que je peux... L'ombre et la lumière peuvent être capricieuses.

— Ouais, bah si j'étais un client, j'aurais pas confiance.

— Heureusement que tu payes pas alors. Je vais faire réchauffer le thé, installe-toi.

Antoine prit place sur l'un des nombreux coussins disposés au sol en face de la petite table sur laquelle le matériel du sorcier était savamment rangé, à l'image du reste de la pièce.

Un simple rideau marquait la frontière avec la cabane voisine, tenue par JDay. Les murs étaient couverts de peintures ésotériques et de bijoux de pacotille. Tout cela faisait partie du folklore. Il savait bien qu'aucun de ces grigris n'était magique. Ils n'auraient pas été exposés à la vue de tous autrement.

Dans un coin traînait le masque que portait DFG lorsqu'il recevait des clients. Un étrange masque en forme de soleil. Reflet parfait de celui en forme de lune de son voisin. Le jour et la nuit. Le futur et le passé.

— Tu vas te tordre le cou à regarder dans tous les sens, plaisanta DFG.

Il posa un verre fumant devant Antoine qui le remercia. Il renifla. Du thé à la menthe. Pas de traces d'hallucinogène là-dedans. Tant mieux, il n'était pas d'humeur à ça.

— Tu penses que je te droguerais sans te demander ton consentement ?

Le voyant s'assit en tailleur en face de lui et ramena ses cheveux longs dans un chignon. Il portait une chemise ample qui retombait sur un pantalon élimé aux genoux. Antoine, qui était en pyjama, se sentit un peu coupable d'entraîner quelqu'un d'autre dans ses errances nocturnes.

— Bon... maintenant que tu sais que j'essaye pas de te droguer et que le thé est chaud, ça va être à ton tour de parler.

— Tu sais déjà pourquoi je suis là, rétorqua Antoine.

— Oh, j'ai ma petite idée, oui. Mais je ne peux pas poser les questions à ta place, ça fait partie du processus. C'est déjà une pratique assez complexe comme ça. Si tu veux une réponse, il va falloir y mettre du tien.

— J'arrive pas à croire que des gens payent pour ça. T'es vraiment pas... fun !

— Oh non, comment m'en remettre... Ah attends, je crois qu'en fait ça va.

— Je paye pas et j'ai quand même l'impression de me faire arnaquer.

— Tu vois, c'est déjà le début de ma magie. Allez, la question !

Antoine saisit le verre et porta à ses lèvres le liquide brûlant pour gagner du temps. Il n'était pas vraiment sûr de ce qu'il faisait là. Il venait demander conseil, bien sûr. Ça, c'était évident. Mais qu'est-ce qu'il voulait comme conseil ? Qu'est-ce qu'il voulait entendre ?

Une fois qu'il se fut assez brûlé la langue pour abandonner sa tentative de distraction, il prit la parole.

— Est-ce que je dois revoir Rayenne Guendil ?

— C'est tout ? Je m'attendais effectivement à quelque chose dans ces eaux-là...

Le sorcier saisit l'un des paquets de cartes posés sur la table basse et les étala d'un mouvement habile.

— Choisis-en trois.

— Sérieusement ? Je croyais que c'était pour les touristes ça.

— Choisis-en trois et arrête de discuter, il y en a qui aimeraient dormir cette nuit.

Antoine s'exécuta en tentant de prendre au sérieux cette mise en scène. Depuis qu'il était descendu des hautes sphères, il faisait de son mieux pour s'intégrer. D'abord, il avait dû apprendre à parler de manière plus détendue et à jurer à voix haute. Mais il avait surtout dû arrêter de regarder d'un œil cynique toutes les coutumes et pratiques qui n'avaient pas lieu là-haut. Que ce soit les fêtes paillardes, les styles vestimentaires ou les croyances qui se mêlaient dans un joyeux pot-pourri.

Le voyant ramassa le reste des cartes en mouillant ses lèvres dans le thé. Lui ne semblait pas le trouver brûlant. Ou alors il jouait très bien la comédie. Ce qui était en réalité très probable.

Il retourna d'un mouvement expert les cartes. Le Trois d'Épée à l'endroit, les Amoureux à l'envers et le Cavalier d'Épée à l'envers. DFG adressa un petit sourire à Antoine.

— Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta celui-ci.

— Oh, rien, c'est juste un tirage amusant étant donné ta question. Pour la version courte : je pense que tu devrais aller le voir. Vous avez encore des trucs à régler.

— Et pour la version longue ?

— Ah, maintenant tu y crois ?

— Non... mais c'est juste pour savoir quoi... Quitte à payer ma séance mentalement, autant aller au bout.

— Évidemment. Et bien pour résumer : le Trois d'Épée, ça veut grosso modo dire que t'arrives pas à passer à autre chose. Les Amoureux à l'envers qu'il y a une relation entre vous qui n'est toujours pas résolue et le Cavalier d'Épée que ton cher et tendre ne sait pas non plus ce qu'il veut dans sa vie et qu'il manque sûrement de maturité. Bien sûr, ce genre de généralité est adaptable aux situations et libre à toi de leur faire confiance ou non.

Antoine hésita un moment. Il savait que son interlocuteur était parfois pris de visions. Elles ne se réalisaient pas forcément, selon le cours des choses. Mais elles avaient une chance d'exister.

— Et toi, tu dis quoi ? osa-t-il finalement.

DFG le regarda avec un air sérieux qui effraya le transfuge.

— Va lui parler.

Le voyant n'en dit pas plus, mais son ton était sans appel.

Antoine sortit de la cabane avec l'esprit encore plus embrumé que quand il était entré. Il crut voir un mouvement entre les palissades et se figea.

Rien. Il avait dû rêver.

Il reprit le chemin de sa chambre. Il fallait donc qu'il revoie Rayenne et il n'était pas certain d'aimer ça. Le passé c'était le passé. Maintenant, il était ici avec Ultia et la troupe. Aller confronter son ex ne lui plaisait pas et puis il appréhendait. Il s'était toujours persuadé que son arrestation était due à un coup de malchance. Mais il avait beau refuser l'hypothèse, il était tout à fait possible que le hasard n'ait rien à voir avec la perte des doigts de sa main gauche...

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now