II.

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 Antoine admirait les ordres donnés par ZeratoR depuis le haut du poteau sur lequel le meneur était perché. Ses mains signaient habilement des instructions que les petites fourmis industrieuses de la troupe suivaient à la lettre, le musicien compris.

Toute la troupe maîtrisait la langue des signes. C'était un langage qu'elle s'était approprié, même si la plupart étaient entendants. L'une des tortures les plus courantes lors des rééducations consistait à priver les prisonniers d'un sens. C'était un moyen pour les geôliers de les rendre plus faciles à contrôler tout en les marquant à vie. Comme toutes les pratiques humaines, la torture avait ses modes. En ce moment, on était plus dans une collection vue en moins. Avant ça, des générations entières avaient perdu l'ouïe. Au point que la surdité chez les personnes de plus de quarante ans était forcément associée à leur communauté.

L'estrade était presque en place. Antoine rejoignit Ponce pour déplacer un banc que ce dernier fixa d'un mouvement de poignet. Maîtriser le bois pouvait avoir des avantages. ZeratoR se laissa glisser le long du poteau avec une facilité insolente. Il posa une main sur l'épaule d'Antoine.

— Ça rend bien ? demanda-t-il.

— Nickel, répondit Antoine.

— Riv', tu pourrais monter vérifier que tout est en place ? J'ai peur que ma mémoire ne me suffise plus.

— C'est comme si c'était fait, chef !

Rivenzi salua militairement et fit rouler son fauteuil jusqu'au poteau. En quelques mouvements gracieux, il avait atteint le sommet. Ce n'était pas pour rien qu'il était gymnaste, malgré ses jambes qui répondaient rarement à ses ordres.

— Tout est bon, signa-t-il.

— Rivenzi dit que c'est bon, répéta Antoine à l'attention de ZeratoR.

— Parfait.

Il fit signe à Rivenzi de redescendre et arpenta les lieux, ses doigts glissant sur les bancs et les toiles tendues du camp qu'il connaissait par cœur.

— Je sens à peine les égouts, fit-il remarquer. On a de la chance...

— C'est mieux que la cour de la station d'épuration de la dernière fois, admit Antoine.

— C'est vrai, sourit ZeratoR. Ça t'avait pas empêché de nous rejoindre, cela dit.

— J'y peux rien, l'odeur de la merde, ça m'attire.

— Sympa, lança Ultia qui était arrivée dans son dos sans qu'il ne l'entende.

Antoine se retourna avec un sourire désolé alors que ZeratoR retenait un rire.

— Non, mais je parlais pas de toi ! tenta-t-il.

— J'espère bien !

Antoine sourit et déposa un rapide baiser sur les lèvres de la dresseuse de la troupe. ZeratoR s'éloigna discrètement.

— Comment tu te sens ? lui demanda Ultia. C'est pas trop dur ?

Antoine haussa les épaules. Il avait grandi dans cette ville, et pourtant il ne reconnaissait rien. Il leva les yeux vers son ancien monde, plein d'apparences et de faux semblants. S'il n'avait pas fui, est-ce qu'il y serait encore ? Et qu'étaient devenus ceux qu'il avait fréquentés ?

— Pour l'instant ça va, mentit-il à moitié.

Ultia fit un signe de tête, rassurée, et dirigea son regard vers l'estrade où ZeratoR venait de prendre place. Antoine s'efforça de se concentrer sur l'homme à lunettes et d'arrêter de penser à son ancienne vie et aux spectres qui l'habitaient.

La Troupe des DamnésNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ