XXXII.

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 Rayenne entendit les pas militaires dans le couloir et se redressa aussitôt. Il n'avait pas eu le droit de quitter sa chambre depuis l'arrestation des membres de la troupe. La raison officielle mentionnait une potentielle blessure qu'il aurait subie lorsqu'il était retenu en otage. En réalité, c'était son oncle qui faisait tout pour le garder sous son contrôle.

Les mots de Florence qu'il avait à tout prix tenté de rejeter lui revenaient sans cesse en mémoire. Plus il y pensait, plus il se disait qu'elle avait raison et il n'aimait pas ça... Parce que s'il ne pouvait pas compter sur le roi, alors il ne pouvait compter sur personne.

La porte s'ouvrit à la volée.

— Bonjour, cher neveu. Je vois que tu te remets bien.

— Je...

— Oui, oui, tu me raconteras plus tard, j'ai quelque chose à te montrer.

Rayenne se tut et suivit la silhouette qui avait déjà disparu. Il attrapa sa veste à la volée et remercia les dieux de l'avoir encouragé à s'habiller le matin même. Le soir commençait à tomber dehors.

Il passa devant des rangées de serviteurs parfaitement alignés qui osaient à peine respirer. Il sentait dans l'air la tension qui entourait chacun des déplacements de son oncle. Ils entrèrent dans une voiture.

— Bien, je dois commencer par te remercier, Rayenne. Tu as joué ton rôle à la perfection.

Le prince héritier ne répondit rien. Ce discours n'était qu'une confirmation de ce qu'il soupçonnait depuis le départ. Le roi l'avait utilisé comme un pion pour faire accuser les vagabonds.

— Si tu avais été moins... émotif, j'aurais peut-être pu te confier plus tôt mes objectifs. Mais tu es encore un peu trop attaché à tes mauvaises fréquentations. Pourtant, de ce qu'on m'a dit, ton Antoine s'est trouvé quelqu'un d'autre.

Le prince remarqua que la mention du couple d'Antoine ne le remplissait plus de cette étrange fureur triste habituelle... était-il vraiment en train de passer à autre chose ? Ou alors avait-il été anesthésié par les derniers événements ?

— Ne t'en fais pas, tu auras ta revanche, on ne tourne pas le dos à un prince aussi facilement.

Le sourire de Frédéric était terrifiant. Rayenne voulait défendre Antoine, dire qu'il n'avait pas envie de se venger, qu'il avait bien le droit d'être heureux avec quelqu'un d'autre. Il n'ouvrit pas la bouche. Il avait peur. Peur que le moindre de ses mots ne condamne l'homme qu'il avait aimé. Peur d'empirer les choses. Puisqu'après tout c'était tout ce qu'il avait réussi à faire jusqu'à présent. Empirer les choses.

La voiture s'arrêta. Le roi avait bien pris soin de fermer les rideaux pour ne laisser aucune chance à son passager de deviner leur destination. Et son effet était réussi.

Le bagne aérien était la seule prison à prendre place au milieu des nuages. Située aux limites de la ville entre les îles nobles et le sol, elle n'offrait aucune chance d'échappatoire. Le seul moyen d'en sortir était d'apprendre à voler... ou de finir dans un cercueil.

Rayenne était venu ici une fois lorsqu'il était petit. Il se souvenait des immenses portes en métal, du froid perçant, des cris des condamnés, et de l'odeur de mort... Il avait accompagné son père lors d'une inspection et ce dernier l'avait souvent menacé de l'y envoyer lorsqu'il n'était pas sage.

Son cœur battait vite. Trop vite. Il se rendit compte qu'il était en train de faire une crise de panique. Ce n'était pas le moment. Pas ici. Pas avec le roi.

Il ferma les yeux et tenta de se calmer alors que le portier ouvrait la porte.

Il repensa à Antoine et Florence, mais loin de le calmer, son esprit ne s'en trouva que plus dérangé. Il n'avait pas eu de nouvelles de Florence depuis leur extraction militaire et n'avait pas osé en demander... quant à Antoine, il se trouvait sûrement derrière ces murs métalliques labyrinthiques. À cause de lui.

Il continua à fouiller dans ses souvenirs à la recherche de quelque chose de rassurant. Des notes de violon lui revinrent en tête. Jouées par sa mère. La mélodie mua pour prendre la forme du duo improvisé qu'il avait joué avec Baghera...

Il parvint doucement à maîtriser sa respiration et lorsqu'il posa un pied sur la plateforme, il était toujours pâle, mais opérationnel.

— Je suppose que tu te demandes ce que nous faisons ici. J'ai bien compris que tu étais incapable de déduire les choses les plus simples et ton air ébahi commence à me peser sur le système. Je vais donc être magnanime, après tout, c'est là une qualité chez un roi.

Frédéric Sauveur avait repris son monologue alors qu'il passait les lourdes portes en métal qui s'étaient ouvertes pour lui. Rayenne se souvenait que son père était passé par la porte de service, lui expliquant que la grande porte n'était qu'une décoration peu pratique et coûteuse à opérer.

Autour d'eux, une multitude de silhouettes se relayait pour faire fonctionner cette étrange machine de métal et de pierre, les précédant et les suivant tout en se tenant assez en retrait pour n'entendre que des bribes de conversation.

— Tu vois, Rayenne. Pour mener un pays, il faut savoir faire des sacrifices. Il faut prendre des décisions difficiles. Moi par exemple, j'ai dû te désigner héritier du trône pour protéger mes intérêts. Quand bien même je te sais incapable de tenir cette fonction. Un malade au pouvoir ? C'était insensé. Et tu aggraves ton cas en devenant diabétique et en t'acoquinant à d'autres gens de ton espèce, alors que c'est l'un des dangers les plus importants que notre royaume doit combattre.

Le roi lui jeta un regard dédaigneux.

— Dès le départ, j'ai compris que tu étais trop faible. Le mariage de ton père était nécessaire à l'époque, nous avions besoin de cette alliance. Mais voilà que le pays se rebelle et que son aristocratie ne m'est plus d'aucune utilité. Je me retrouve avec une étrangère sous mon toit que je dois entretenir. Et au lieu de faire profil bas, elle te pond. Un garçon faible et romantique... j'ai essayé de faire de toi quelque chose. Mais elle s'est interposée avant de t'abandonner derrière elle après avoir tout gâché.

Le roi venait de s'engager dans un couloir particulièrement sombre. Autour d'eux, les cris et supplications des prisonniers s'étaient soudain tus. Le silence était plus oppressant. La tête de Rayenne tournait, pourquoi est-ce que son oncle lui racontait ça ? Il avait déjà compris qu'on l'avait utilisé.

— Tu te penses doué ? Malin ? Tu pensais peut-être que je ne le voyais pas dans tes yeux ? Ta haine ? Ton désir de me remplacer ? Tu m'as pris pour un débutant ?

Frédéric Sauveur eut un rire froid.

— Moi, à ton âge, j'aurais déjà tenté un coup d'État, heureusement tu es trop naïf pour ça. Patient aussi. Un peu trop. J'attendais que tu me donnes une excuse pour me débarrasser de toi. Et finalement, non seulement tu me l'offres sur un plateau, mais en plus en me livrant une excuse parfaite pour éliminer ta sous-race.

Frédéric Sauveur s'approcha de la porte et l'ouvrit.

— Merci d'avoir cru aux rumeurs sur mon infertilité, et adieu. Ne t'en fais pas, ta mort sera utilisée à bon escient.

Il poussa Rayenne dans la salle et la porte métallique claqua dans son dos. Il plissa les yeux. Contrairement à la pénombre du couloir, la salle était aveuglante. De puissants projecteurs en éclairaient chaque recoin.

Sur le mur d'en face, suspendu par les poignets, se tenait une silhouette humaine. Les vêtements en lambeaux, couverts de sang et de cicatrices. L'homme semblait mort.

Rayenne fit un pas dans sa direction.

— Reste où tu es, ordonna une voix rauque.

Le prince héritier, qui ne l'était peut-être plus étant donné les paroles de son oncle, le reconnut alors. Sans ses lunettes et son air serein, il était méconnaissable. ZeratoR, les yeux clos, trembla. Ses chaînes grincèrent.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant