XXI.

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 Les notes de violon attirèrent l'attention de MV. Les joueurs de violon n'étaient pas rares dans la troupe. Mais ce genre de jeu, en revanche, il l'avait rarement entendu. En réalité, en dehors des enregistrements, qu'il n'écoutait quasiment plus de toute façon, il n'avait entendu qu'une personne jouer ainsi.

C'était dans un centre de rééducation. Un centre qu'il avait été obligé d'intégrer lorsqu'un inspecteur un peu trop tatillon avait fouillé dans son passé pour découvrir qu'il était altérant. Les altérants n'avaient pas le droit d'avoir d'enfants. On les accusait de propager délibérément une maladie dans la société. MV détestait cette société et n'avait jamais eu dans l'idée d'y élever une quelconque progéniture. À quoi bon avoir un enfant dans un monde qui vous haïssait ?

Et puis, il avait rejoint la troupe. Il avait rencontré sa femme. Il avait aimé comme il ne pensait pas que c'était possible d'aimer. Un tel amour était trop puissant pour se limiter à eux. Ils avaient voulu un enfant. C'était fou, c'était idiot, c'était naïf. Une décision dictée par l'amour.

ZeratoR avait repris les rênes de la troupe et leur avait donné de quoi s'installer dans une petite maison de campagne, loin de toute personne qui aurait pu se douter de l'étrangeté de cette famille. Et pendant un temps, ça avait marché. Ils s'étaient aimés. Ils avaient été heureux.

Jusqu'à ce qu'on vienne toquer à la porte pour un contrôle de routine. Jusqu'à ce qu'un policier reconnaisse vaguement les saltimbanques que ses parents l'avaient emmené voir alors qu'il était enfant.

Alors le rêve avait pris fin.

Au départ, ils avaient été envoyés en centre et étaient passés par l'étape stérilisation forcée, comme la majorité des altérants. Ce n'était pas grave. Ils étaient ensemble. Ils pouvaient supporter ça ensemble. Et puis, l'enfant était un peu protégée. Elle s'était retrouvée à être l'enfant de tout le camp. Même les gardiens s'y étaient attachés...

Pendant des mois, ils avaient vécu là. Ils n'étaient pas libres, mais il y avait pire. Et puis il y avait des visages familiers. C'était une période sombre pour les altérants. Et il y avait retrouvé de nombreux membres de la troupe.

Il y avait même une salle de musique. C'était là qu'il avait rencontré la violoniste. Sa fille adorait le violon, malheureusement pour elle, il était loin d'être un spécialiste dans le domaine. Mais une femme était arrivée un jour, différente, d'un pays étranger, avec des manières du grand monde. Elle, elle savait en jouer. Et pas qu'un peu.

Elle pouvait hypnotiser son public pendant des heures. Elle avait commencé à apprendre à sa fille à jouer... et puis...

MV serra la mâchoire. Il n'avait pas besoin d'aller aussi loin. Il n'avait pas besoin de subir à nouveau cette souffrance.

On lui avait plusieurs fois conseillé de confier tout ça à JDay. Mais c'était hors de question. Il ne les oublierait pas. Jamais. Et si pour cela il fallait qu'il souffre en permanence, alors tant pis. Il leur devait bien.

Il ouvrit sa porte pour mieux entendre. Aucun doute. C'était très différent, beaucoup plus scolaire, beaucoup moins joyeux, mais il y avait cette touche qu'il reconnaissait.

Il s'avança d'un pas titubant vers la salle de musique.

Est-ce qu'il avait bu ? Il ne s'en souvenait pas. Mais c'était très possible. Il n'avait qu'à se concentrer pour faire disparaître tous ces symptômes. C'était l'un des meilleurs soigneurs qu'il soit. Mais il s'était promis de ne plus le faire. Son altération avait détruit sa vie. S'il s'était contenté de vivre normalement. S'il n'avait pas répondu aux personnes qui venaient lui implorer de l'aide, ils auraient sûrement pu être encore heureux tous ensemble.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now