XLII.

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 — Arrête Flo, ça sert à rien ! signa Horty.

Elle retenait la jeune femme par le bras alors qu'elle était sur le point de s'élancer à la poursuite du prince suicidaire. Une entreprise que sa petit-amie ne voyait pas d'un très bon œil. Même si la situation ne l'empêchait pas de pleurer. Elle connaissait peu Rayenne. Beaucoup mieux ZeratoR.

C'était grâce à lui qu'ils en étaient tous là. Grâce à lui qu'ils avaient pu survivre et être heureux. Il avait été un ami pour tous, un modèle pour beaucoup. Compréhensif en toutes circonstances, faisant de son mieux pour contenter tout le monde.

Elle se souvenait comme hier de leur première rencontre. Elle et Baghera étaient sorties de camp une semaine plus tôt et elles mourraient de faim. Personne ne voulait embaucher des altérantes et elles s'étaient peu à peu tournées vers le vol pour survivre. Elle n'était pourtant pas très douée dans ce domaine. Et Baghera pas beaucoup plus. C'est-à-dire qu'il fallait être discret pour voler et qu'elles l'étaient très peu malgré tous leurs efforts.

La police commençait à leur tourner autour et elles avaient abandonné l'illégalité. Plutôt mourir de faim à l'air libre que dans un camp.

Horty se promenait tout de même tous les matins au marché de la ville où elles avaient atterri, dans l'espoir de récupérer des restes de nourriture qu'on aurait laissé tomber par mégarde.

— Toi, t'as l'air de crever la dalle.

C'était les premiers mots que ZeratoR avait prononcés. Avec ses lunettes dans la brume matinale, il ressemblait à une apparition. Il avait souri et lui avait tendu un pain frais qu'il venait d'acheter. Horty avait hésité.

Les hommes qui lui offraient des trucs, elle s'en méfiait. Elle avait compris que les connards mariés de la ville les avaient à l'œil avec sa sœur. Avides de chair fraîche, ils attendaient que le désespoir les pousse à accepter de se vendre pour presque rien.

— T'aimes pas ça ? avait-il demandé.

Son ton était si honnête que ça lui avait arraché un sourire. Il avait vraiment l'air désolé de lui avoir offert quelque chose qu'elle n'appréciait pas. Elle s'était demandé si elle pouvait vraiment lui faire confiance, son esprit s'était emballé et elle s'était endormie.

Mais au lieu de se réveiller sur le trottoir comme à chaque fois que cela se produisait à l'extérieur, elle s'était retrouvée sur un lit. Elle avait fait la connaissance de DamDam, puis de tous les autres. ZeratoR lui avait sauvé la vie. Il n'y avait aucun doute à ce sujet. Elle serait peut-être toujours vivante sans lui, mais elle ne savait pas ce que sa sœur et elle auraient été forcées à faire.

Et aujourd'hui elle venait de tuer cet homme à qui elle devait tant. C'était peut-être cette réalisation qui la poussait à faire preuve de si peu de compréhension pour Florence. Elle la tira sans ménagement pour revenir vers le hall. Il fallait qu'elles rejoignent les autres. Qu'elles fuient avec eux.

La grande comtesse se laissa faire après s'être débattue un moment. Horty traversa les couloirs avec une seule idée en tête, mettre Angle en sécurité. L'éloigner de tout ça. Et ne pas penser à Zera. Ne pas penser à Rayenne.

En faisant demi-tour pour quitter la pièce, elle se souvint de l'existence de Ponce qui n'avait rien dit. Il fixait le vide en silence et donnait l'impression d'être dans un autre monde, toujours allongé le dos contre le mur. Horty sentit sa gorge se serrer d'autant plus.

— Je suis désolée, je voulais pas... tenta-t-elle de se justifier.

Ponce leva les yeux vers elle. Du sang coulait de la base de ses cheveux et il était globalement en mauvais état.

— Florence... est-ce que tu peux essayer de faire quelque chose ?

La comtesse regarda Ponce et se baissa sans rien dire. Le mage reprit un peu de couleur.

— Je suis désolée, je peux pas faire mieux, s'excusa-t-elle. Je suis épuisée.

— C'est pas grave, répondit machinalement Ponce en se relevant. Il faut qu'on y aille. Les autres nous attendent.

Il parlait d'une voix machinale étrangement désincarnée qui mettait Horty mal à l'aise. Elle lui emboîta tout de même le pas. Florence lui tapota sur l'épaule pour attirer son attention.

— Qu'est-ce que tu marmonnes ? lui demanda-t-elle.

Horty se rendit compte que ses lèvres bougeaient toute seules dans une litanie d'excuses. Elle se força à se taire.

— Rien, t'en fais pas.

Florence la suivit non sans un regard qui soulignait bien qu'elle n'y croyait pas une seule seconde. Horty l'ignora. Les yeux fixés sur la nuque de Ponce qui boitait devant eux. Pourquoi était-il aussi calme ? Pourquoi n'était-il pas en train de l'engueuler ? Ça aurait été mieux. On lui aurait moins reproché ce qu'elle avait fait.

La fumée et le bruit se faisaient de plus en plus oppressants autour d'eux. Horty soupçonnait la rébellion de s'être transformée en bain de sang.

Le trio traversa pourtant le hall dans un état second au milieu des affrontements. Personne ne tenta de s'en prendre à eux. Elle se demanda si leur aura était dissuasive ou si c'était seulement de la chance.

Il arrivait que Zera invoque un sort d'éloignement lorsqu'il sentait qu'il perdait le contrôle, pour s'assurer que personne ne se ferait avoir par l'Autre. Est-ce que même depuis l'au-delà il veillait sur eux ?

Une fois dans la cour, la raison du chaos ambiant fut plus évidente. Plusieurs bâtiments étaient en flammes, l'incendie s'était-il propagé depuis la terre ferme ? Quoi qu'il en soit, les soldats comme les prisonniers cherchaient à quitter le navire, créant d'étranges alliances.

Horty chercha des yeux les autres membres. L'idée de devoir leur annoncer la mort de leur meneur par sa faute l'étouffait. Elle espérait presque qu'une balle perdue vienne se loger dans son crâne pour mettre fin à ce cauchemar qu'était sa vie.

Alors qu'elle balayait la cour des yeux, elle tomba nez à nez avec une arme à feu. Un jeune garde tremblant la tenait en joue. Son vœu allait donc être exaucé...

— C'est de votre faute ! hurla le jeune homme.

Il appuya sur la détente et la balle s'enfonça dans une barrière invisible avant de retomber au sol.

— Qu'est-ce que vous foutez ! Bougez-vous !

C'était Antoine, accompagné d'Ultia, qui les appelait, le bras tendu. L'aurait-il sauvé s'il avait su ce qu'elle venait de faire ? se demanda Horty.

— Espèce de démons, vous irez en enfer, vous...

— Oh, ta gueule.

Ultia envoya un coup de poing bien senti dans le visage de l'officier.

— Allez, vers les voitures ! On vous attendait !

Horty se dit qu'il y avait quelque chose de drôle dans la situation. En toute autre circonstance, Ponce aurait sûrement fait une réflexion pour souligner l'absurdité de ce qui venait de se passer. Mais aucun d'eux n'ouvrit la bouche. Ils entrèrent dans la voiture détournée par leurs camarades.

— Et Zera ? demanda Antoine alors qu'ils s'apprêtaient à décoller.

— Il est tombé, répondit Ponce.

Antoine comprit la gravité des mots et son visage se ferma. Ils décollèrent. Horty fut aussitôt secouée de sanglots.

La main d'Angle se glissa dans la sienne et elle la serra beaucoup trop fort. Sa petite amie ne se plaignit pas. Elle passa une main dans ses cheveux et la laissa exploser.

Dans la voiture, seuls ses pleurs résonnaient.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now