XXXV.

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 Florence était épuisée. Depuis son retour, elle enchaînait les apparitions en public où elle devait dénoncer les exactions qu'elle avait subies au sein de la troupe d'altérants. Bien sûr, tout cela n'était que mensonges, mais on lui avait bien fait comprendre que si elle n'avait pas envie de rejoindre les prisonniers, elle n'avait pas la liberté de choisir son discours. Alors elle se pliait à cette volonté en souriant, répétant au peuple à quel point les altérants étaient dangereux.

Elle avait été naïve de croire qu'elle pouvait être libre, qu'elle avait une porte de sortie. Horty et les autres avaient fini par y passer eux aussi. On n'échappait pas aussi facilement au système.

Florence se demandait à quel point Rayenne était impliqué dans les arrestations. Ils ne s'étaient pas revus depuis. Ignorait-il vraiment ce qui se préparait ? Il avait l'air aussi surpris qu'elle, mais dans leur monde d'apparence, ça ne voulait rien dire. Et puis il avait tenté de s'éloigner d'elle peu avant... est-ce que c'était parce qu'il savait qu'il condamnait Horty ? Est-ce qu'il avait essayé de limiter les dégâts ? Et sa décision de l'emmener avec lui pour les prévenir, pour en faire elle aussi un relais du discours officiel, était-ce calculé ?

Elle s'assit dans la voiture, prête à regagner le monde haut sous bonne surveillance. Sa famille n'avait pas envie de la voir se lancer dans de nouvelles errances malvenues. Ils avaient tort de penser qu'elle en était capable. Pour elle, tout était déjà fini. Autour, la ville commençait lentement son déménagement.

Une main empêcha la porte de se refermer avant de se poser sur sa bouche pour l'empêcher de crier. Plusieurs silhouettes s'engouffrèrent à la suite du premier assaillant. Le véhicule se balança un peu dans le vide puis le moteur se mit à vrombir et ils prirent de l'altitude.

Le cœur de Florence battait à tout rompre. Qui étaient ces gens ? Qu'est-ce qu'on lui voulait ? Des envoyés de l'État qui comptaient la faire taire pour de bon et encore mettre ça sur le dos d'innocents ? Des gens du peuple qui espéraient peut-être une rançon ?

L'ampoule qui se balançait au centre de l'habitacle se stabilisa et le visage de ses agresseurs se fit plus clair. Elle les reconnut aussitôt. La main sur sa bouche disparue. Manifestement, ils devaient être assez loin de potentiels témoins.

— On te veut pas de mal, signa Onutrem. On a juste besoin d'un moyen d'approcher la prison pour libérer les autres.

— Si t'as envie de te joindre à nous pour sauver ta copine que t'as condamnée toute seule comme une grande, tu es la bienvenue. Sinon, tu feras toujours un otage de choix... quoique je doute de la valeur d'une vie altérante sur le marché actuellement.

Florence ne connaissait pas le nom de l'homme qui venait de signer, mais elle l'avait vu jongler pendant la moitié de représentation à laquelle elle avait assisté. Sans le maquillage et le sourire enjôleur, il avait l'air beaucoup moins avenant.

Il y avait également un musicien et, collé contre la porte, Antoine. Des altérants avaient réussi à fuir ? Comment ? Et combien ?

Son esprit tournait à toute vitesse, réévaluant toutes les croyances de cette dernière semaine. Elle avait fait une croix sur Horty, une croix sur leur liberté, une croix sur la possibilité d'être heureuse. Soudain, tout cela redevenait possible. Dangereux... mais envisageable.

Mais sa vie là-haut serait-elle moins dangereuse maintenant qu'on l'avait dans le viseur ? Serait-elle vraiment plus simple ?

L'image d'Horty sur l'échafaud s'imposa à son esprit. Elle s'imagina dans le public à devoir assister au spectacle. Frédéric Sauveur était même capable de l'obliger à faire un discours pour dénoncer la violence qu'elle avait subie. Était-elle vraiment capable de jouer son rôle jusque là ?

La Troupe des DamnésDove le storie prendono vita. Scoprilo ora