XXXVII.

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 Protéger Rayenne, c'était l'ordre qui l'avait animé. Prenant le pas sur tous les autres esprits qui occupaient le corps de l'invocateur. C'était la première fois que cela arrivait. Il supposait que l'amour maternel n'était pas innocent dans cette nouveauté.

Son corps bougea aussi rapidement que possible, puisant dans la matière sombre qu'il pouvait contrôler afin de mettre en sécurité le jeune prince fraîchement déchu. Il comprit son erreur au moment où le corps se retrouva contre lui. L'Autre poussa un hurlement de victoire et plongea ses yeux dans ceux du jeune homme afin d'aspirer sa force vitale.

ZeratoR se débattit, tentant de reprendre le contrôle avant qu'il ne soit trop tard.

— Arrête de remuer, et profite du spectacle, lui susurra la voix de l'Autre.

— Ne le laisse pas faire !

Ça, c'était celle de la mère du prince. ZeratoR savait qu'il ne pouvait pas reprendre les rênes. Il était trop faible. Tout ce qu'il avait subi ces derniers jours menait à ça. Ils voulaient que l'Autre remonte à la surface. Ils voulaient qu'il se nourrisse de Rayenne... peut-être même d'autres personnes dont le pouvoir voulait se débarrasser. Encore une fois, l'État cherchait un moyen de profiter de ces altérations qu'il avait condamnées.

Il était pourtant encore temps d'agir, avant de perdre totalement le contrôle. Il réunit ses dernières forces.

— Dors ! ordonna-t-il au jeune homme.

Les yeux du jeune homme se fermèrent aussitôt. Le meneur de la troupe savait que l'Autre n'avait qu'à relever ses paupières pour continuer son œuvre, mais il sentait la présence d'autres altérants non loin et il leur faisait confiance pour profiter de ces quelques instants gagnés.

— C'est tout ce que tu peux faire ? Tu fais vraiment pitié, rigola l'Autre. Aller, c'est à ton tour d'aller dormir.

ZeratoR s'enfonça doucement dans son esprit, perdant toute prise sur le réel. Il se laissa couler sans rien faire, il connaissait les abîmes. Il savait aussi que s'il se faisait assez discret, il pourrait observer ce qui se passait au lieu de le découvrir en revenant à la surface... s'il revenait à la surface. À chaque fois que l'Autre prenait le dessus, il y avait un risque pour qu'il devienne le maître de ce corps. S'il parvenait à trouver un moyen de l'enchaîner dans les profondeurs, il serait condamné à cette survie dans la pénombre aux côtés de toutes les âmes damnées avec lesquelles il cohabitait déjà.

L'Autre s'apprêtait à reprendre son festin quand un bruit sourd le fit se retourner. À travers ses yeux, ZeratoR ne distinguait que d'étranges formes plus ou moins brillantes en fonction de leurs forces vitales.

Il les identifia aussitôt. Ponce, Onutrem, Antoine, Tip, Florence et PV. Comment étaient-ils parvenus jusqu'ici ? Il entendait le ronronnement d'un moteur et supposa donc qu'ils avaient emprunté une voiture qu'il ne pouvait distinguer.

L'Autre se tourna vers eux avec un air paniqué.

— Il a besoin d'aide, ils ont essayé de le tuer ! annonça-t-il en imitant à la perfection les intonations de voix de ZeratoR.

Ponce fut le premier à poser un pied dans la salle et il empêcha Florence de se précipiter sur son ami.

— Je peux le soigner ! s'exclama-t-elle. J'ai arrêté de prendre mes médicaments !

— Super, ça nous sera sûrement utile, répondit Ponce sans bouger et la retenant toujours.

— Alors, laisse-moi passer !

— Si je te laissais passer, ça serait un sacrifice pour pas grand-chose.

Si l'esprit de ZeratoR avait pu sourire, il l'aurait fait. Il n'avait pas douté une seule seconde de Ponce et il avait eu raison. D'une certaine manière, savoir que l'autre homme le connaissait aussi bien l'émouvait. Il avait envie de le serrer contre lui pour lui répéter à quel point il l'aimait. Pour se sentir rassuré aussi.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now