XIV.

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 Florence se baladait dans le parc du Prince, son carnet à la main. Ce n'était pas la première fois qu'il lui donnait rendez-vous et ne se présentait pas. Ce n'était pas forcément de sa faute. Il avait des obligations. Des rendez-vous de dernière minute.

Après tout, il était au centre de l'échiquier politique. La grande comtesse se fit la réflexion que c'était étrange qu'il n'y ait pas de prince aux échecs. Seulement un roi et une reine... est-ce que Rayenne incarnait le fou ?

L'image la fit sourire. Au moins, pour elle, aucun doute. Elle était un simple pion.

Laissant son regard dériver sur les plantes, elle s'installa finalement sur un banc et saisit son carnet. Elle n'avait jamais pu apprendre à dessiner quand elle était plus jeune. Ce n'était pas digne d'elle. Elle devait apprendre la politique et les talents reconnus en société. Et puis... malgré son titre, elle venait d'une famille ruinée. La peinture, ça coûtait cher.

Depuis qu'elle était arrivée ici, elle avait enfin eu l'occasion de s'y mettre. Bien sûr. Elle n'était pas très douée. Et malgré l'émerveillement de Rayenne à chacun de ses croquis, elle sentait bien qu'elle avait encore du travail.

Elle cherchait un modèle dans la flore qui l'entourait. Mais après avoir échoué à immortaliser tour à tour une rose, une orange et un buisson, elle laissa le crayon errer sur la page. Un œil apparut. Jamais elle n'avait réussi à dessiner un aussi bel œil. Un œil qui lui était un peu trop familier. Avec son pli souriant juste en dessous de la paupière.

Hortense. Enfin, Horty.

Elle arracha aussitôt la page.

Une ombre la fit sursauter et elle leva la tête.

— C'était si moche que ça ? signa Rayenne.

Il avait un sourire vide. Mécanique. Celui qu'il réservait habituellement au monde extérieur. Florence eut très peur.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-elle.

— Ah ouais, tout de suite, comme ça ? Sans préambule ?

Le sourire de Rayenne s'élargit. Peut-être était-il vraiment amusé. Pas assez pour que ses yeux rient, en tout cas.

— Tu peux peut-être mentir, faire croire aux autres que tout va bien, mais pas à moi.

Rayenne fit une moue.

— Je pense que c'est une grande partie du problème, annonça-t-il énigmatiquement.

— Arrête de tourner autour du pot et dis-moi ce qui se passe, s'impatienta Florence.

La grimace du prince héritier se fit d'autant plus marquée. Il détourna le regard. Le cœur de la grande comtesse était de plus en plus lourd dans sa poitrine. Qu'est-ce qui pouvait être grave au point de mettre son ami aussi mal à l'aise ?

— T'es pas assez bien pour qu'on continue à se voir, lâcha-t-il finalement.

Cette fois, il n'avait pas signé. Florence avait dû lire sur ses lèvres. L'annonce lui fit l'effet d'une douche froide.

Elle ne pouvait y croire. Pourquoi maintenant ? Pourquoi aussi soudainement ? Ce n'était pas comme si elle avait tenté de lui faire des avances. Elle savait le trône inaccessible. Et, de toute façon, il ne l'intéressait pas. Tout comme Rayenne d'ailleurs.

C'était un ami. Un très bon ami. Son seul ami ici. Rien de plus.

Depuis Horty, il n'y avait eu personne, et elle se disait que c'était tant mieux. Aimer était trop dur.

— Je suis désolé, je savais pas comment le dire sans te faire de mal, bafouilla-t-il.

Cette fois, il eut au moins la décence de signer. Ce petit con.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now