XXII.

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 Florence rentrait d'une énième soirée où elle s'était ennuyée à en mourir avec le sourire. Elle s'y sentait plus seule que jamais maintenant que le prince héritier l'avait à son tour abandonnée. Il ne s'était d'ailleurs même pas donné la peine d'être présent ce soir-là.

C'était peut-être pour le mieux. Au moins elle n'avait pas à trouver des moyens subtils de l'éviter.

Le ciel était dégagé et une brise fraîche passait par la fenêtre de sa voiture. En bas, le couvre-feu avait pris place. Les rues illuminées étaient vides. Propres. Son regard fut naturellement attiré par l'emplacement de la troupe d'Horty. Elle se demandait comment allait la jeune femme.

Le rapatriement orchestré discrètement par Antoine ne lui avait pas donné l'occasion de lui dire au revoir. L'homme avait tenté de la rassurer en lui disant que ces étranges sommeils subits étaient normaux, ça n'avait fait que l'inquiéter un peu plus. Elle n'avait jamais eu ce problème dans le passé. Elle osait à peine imaginer ce qu'elle avait dû endurer pour développer un tel mécanisme de défense.

Jusqu'à présent, elle était plus ou moins parvenue à s'empêcher de penser à elle. Elle s'était persuadée qu'elle était débrouillarde, qu'elle n'avait pas besoin d'elle. Au fond, elle s'était trouvé des excuses.

Plus le temps passait, plus elle se demandait pourquoi elle ne l'avait pas suivie. Pourquoi elles n'avaient pas vécu toutes ces épreuves ensemble. Ici, elle était en sécurité, mais une sécurité solitaire, une sécurité douloureuse. Et puis, elle devait le payer par la souffrance à chaque fois que l'aiguille qu'elle plongeait sous sa peau s'attaquait à son altération.

Tout ce qui semblait clair et évident jusqu'à présent était devenu flou. Elle ne s'était jamais imaginée quitter ce luxe, rejoindre une troupe de saltimbanques. Quelle déchéance.

Horty n'avait jamais connu ça, forcément, elle n'avait eu aucun problème à intégrer cet étrange mode de vie. Ce qui troublait Florence, c'était Antoine. Ce Antoine dont le nom n'était prononcé par personne en dehors de Rayenne, bien qu'il soit en réalité sous toutes les lèvres. Cet homme dont on disait qu'il avait perdu la raison et qu'il regrettait son choix maintenant qu'on ne voulait plus de lui là-haut...

Ce Antoine qui avait l'air comblé. Qui avait refusé de revenir s'installer auprès du prince héritier alors que la place était plus que confortable. Cet étrange homme qui avait préféré le chaos et l'incertitude de la vie d'en bas... était-il vraiment possible d'y être heureux ?

Alors que ses pensées tourbillonnaient, une voiture qu'elle ne connaissait que trop bien se glissa dans son champ de vision. La voiture du prince héritier. Pas celle officielle, bien sûr, la discrète, celle qu'il utilisait lorsqu'il voulait se déplacer sans être remarqué. Celle qu'ils avaient empruntée de nombreuses fois lorsqu'ils s'aventuraient dans le bas monde.

Et elle remontait du cirque. Ou de non-loin. Il y était retourné ? Sans elle ? Est-ce qu'il comptait à son tour l'abandonner ? Non. C'était impossible. Le prince héritier ne pouvait pas partir. On le retiendrait. On le tuerait. Mais on n'accepterait pas sa démission. Une telle honte... c'était un coup à déclencher une révolte...

Florence hésita. Elle avait envie de savoir ce qu'il se tramait.

Elle savait très bien que le prince héritier aussi était seul. Qu'en l'abandonnant, il s'était également condamné. Elle sentait que cette voiture qui errait dans la nuit à toute allure n'augurait rien de bon. Elle aurait pu ordonner de suivre le jeune homme. Elle aurait pu aller lui demander des comptes. Si elle n'avait pas eu de domestique, peut-être aurait-elle osé. Ce n'était pas le cas. Elle avait un chauffeur. Et les chauffeurs parlaient.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now