LIV. (final)

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 Horty admirait le navire géant qu'ils avaient passé un mois à fabriquer. Il glissait doucement vers l'eau sous l'impulsion des élémentaires de terre. La mise à l'eau avait été organisée au crépuscule pour éviter les regards indiscrets. Le chantier naval avait été camouflé dans les arbres jusqu'à présent.

La jeune femme n'avait jamais quitté la terre ferme et appréhendait le voyage.

— Tu vas voir, ils vont t'adorer là-bas, signa Angle avant de lui prendre la main.

Forcément, l'ancienne comtesse avait parcouru tous les océans lorsque son prestige le lui permettait. Elle lui avait parlé du pays vers lequel ils mettaient les voiles en détail pour la rassurer, sans se rendre compte que la seule chose dont elle avait besoin, c'était sa présence. Elle sourit et acquiesça.

— On fait quoi s'il coule ? demanda Baghera.

— C'est quoi cette question ? s'exclama Antoine.

— Bah je sais pas, je demande si on a un plan B quoi...

— Étoiles pourrait tous nous transporter sur ses ailes, proposa Angle.

— Faudrait déjà qu'il apprenne à atterrir, commenta Ultia.

— Eh ! C'est vraiment dur l'atterrissage, se défendit Étoiles.

— Sinon, on y va à la nage, lança OP.

— Quatre cents kilomètres de nage, je te laisse passer devant, répondit Antoine.

— Roh... avec un peu de volonté...

Le navire approchait de l'eau et le groupe se tut, tendu. Cela faisait des semaines qu'ils ne vivaient que pour fuir dans l'espoir d'un avenir meilleur ailleurs, le temps que les choses se calment. C'était comme ça que Zera l'avait vendu, un départ éphémère. Rien de plus. Beaucoup avaient considéré ça comme un adieu. À quoi bon revenir dans un pays chargé de telles douleurs ?

Et puis il y avait ceux qui restaient. Ponce, Riv et tous les autres volontaires. Ceux qui ne pouvaient pas se résoudre à la traversée et qui voulaient continuer à se battre. Horty avait hésité. Elle voulait se battre. Elle voulait un monde meilleur.

Mais Zera l'en avait dissuadée.

— Profite de ta jeunesse, t'auras tout le temps de te battre plus tard, avait-il lancé.

Et en regardant Angle, Horty n'avait pu se résoudre à rester et à risquer de la perdre alors qu'elle venait de la retrouver. Elle voulait prendre le temps de l'aimer. Elle voulait être heureuse au moins une fois. Elle avait bien le droit d'être un peu égoïste.

Angle aussi avait parlé de revenir. Elle avait des comptes à régler. Mais pour l'instant, elle voulait profiter de sa toute nouvelle liberté, et il était hors de question qu'Horty l'en prive.

Le navire arriva sur la berge et glissa sur les flots avec une facilité déconcertante au vue de son poids. Il tangua un instant et finit par se stabiliser. Des cris de joie retentirent parmi les membres. Horty en faisait partie.

Alors c'était vrai. Ils allaient partir.

L'embarquement fut lancé. Tout le monde connaissait le vaisseau par cœur, ils avaient tous participé d'une manière ou d'une autre à son élaboration. Les chambres furent aménagées en un rien de temps. Pouic miaula quand on le libéra enfin de sa cagette et se roula en boule sur le lit qu'Angle et Horty n'allaient pas tarder à occuper.

Puis le banquet débuta. Le dîner d'au revoir. Ils avaient refusé d'appeler ça un dîner d'adieu.

Tous les membres se retrouvèrent sur le pont, instruments et machines en main. La musique et le spectacle leur était aussi vital que l'eau ou la nourriture. Ils avaient pris des risques pour s'en procurer et en fabriquer.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant