XLIII.

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 — Je vais te laisser l'honneur pour cette fois, mon cher Zera. On se retrouve très vite.

L'Autre se retira, laissant ZeratoR reprendre le contrôle. Il voulait le laisser mourir. Le tuer pour être enfin libéré et se repaître de sa vitalité. L'homme tombait, le visage tourné vers la voûte céleste. La lumière des flammes était encore assez faible pour qu'il puisse garder les yeux ouverts et profiter de son dernier ciel étoilé.

C'était donc comme ça que ça se finissait pour lui ? En libérant un démon sur la cité la plus habitée du pays, qui sombrait dans le chaos ? Le seul altérant qui aurait pu éliminer le démon se trouvait à des dizaines de mètres au-dessus de lui. Et paradoxalement, c'était la dernière personne à vouloir les protéger. Au moins, l'homme qu'il aimait aurait sa vengeance, ça l'apaiserait peut-être.

En réalité, il était soulagé. Soulagé de ne plus pouvoir rien faire d'autre que subir. Il n'avait plus à s'inquiéter des autres. Plus à s'inquiéter de l'Autre. C'était fini.

Il aurait aimé dire au revoir à tous ces gens qui avaient illuminé sa vie. Leur dire à quel point il avait apprécié leur compagnie et leur confiance. Les remercier pour tout. Embrasser une dernière fois Ponce et le rassurer. C'était un luxe hors de sa portée et il devait s'y résoudre. Il sentit quand même des larmes s'échapper de ses yeux. Elles semblaient rejoindre les étoiles qui veillaient sur lui.

Une ombre passa et obscurcit sa vue. Quelque chose arrivait sur lui. Son cœur se serra. Ponce n'avait quand même pas été assez idiot pour le suivre dans sa chute ? Il était plus rationnel que ça ! Il savait très bien qu'il n'aurait jamais voulu le voir se sacrifier pour lui. Ils en avaient parlé.

Non. Ce n'était pas Ponce. Ce n'était pas humain. C'était un oiseau. Un oiseau géant dont les serres tentèrent de l'attraper sans succès, rouvrant les cicatrices qui couvraient son bras.

— Tu peux pas ralentir ?

Rayenne ? C'est vrai qu'Antoine lui avait dit que c'était un druide, mais il ne l'avait jamais vu se transformer. Alors c'était lui qui avait sauté à sa suite pour tenter de le sauver ? ZeratoR avait envie de l'ignorer. Il avait accepté son destin. Pourquoi y revenir ? Faible comme il était, l'Autre se réveillerait à la première occasion et sans Ponce pour s'opposer à lui... Il avait déjà bien assez de voix dans sa tête pour en ajouter une !

Les griffes traversèrent à nouveau sa peau. Il laissa la douleur se fondre dans celle continue qu'il subissait depuis son premier passage en camp. Il ne savait pas ce qui avait été le pire. La douleur ou l'absence de douleur. Quand on le laissait flotter dans des cuves d'eau pour le priver de la moindre sensation au point qu'il en venait à douter de son existence. À l'époque, il était encore seul dans son esprit.

À choisir, il prendrait la douleur tous les jours. Des images du camp lui revinrent. Et une autre image se fraya un passage dans son esprit. Un membre de la troupe dans la cuve à sa place. N'importe lequel d'entre eux qui n'aurait pas réussi à fuir et qui payerait pour tous les autres. Et lui, qui ne pourrait rien y faire, tout ça parce qu'il s'était laissé mourir.

Il ferma les yeux et rassembla le peu d'énergie noire qui lui restait pour ralentir sa chute. Les serres parvinrent enfin à le saisir et il s'envola au-dessus de la ville, suspendu par les deux bras comme une marionnette.

— Je suis désolé pour les griffes ! s'excusa Rayenne. C'est mon premier vol. Je sais pas trop ce que je fais.

ZeratoR eut un sourire. Malgré la situation, malgré la douleur, malgré la panique, il croyait déceler une pointe d'amusement dans la voix du jeune héritier.

— C'est sympa de voler ? articula-t-il.

— C'est incroyable ! J'ai l'impression de... de pouvoir aller au bout du monde. D'être libre... de pouvoir tout faire !

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now