V.

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 Le prince Guendil mordait dans son oreiller pour étouffer le hurlement de douleur qu'il n'arrivait pas à avaler. Les larmes coulaient sur ses joues. Il avait du mal à respirer. Les yeux clos, il tentait de se calmer. D'oublier la souffrance qui semblait lui brûler la peau.

Peu à peu, il s'y habitua. Il laissa tomber le coussin au sol et inspira une goulée d'air frais. Au fond de sa gorge, les sanglots continuaient à résonner. Il s'accorda un instant pour se remettre. C'était la seule faiblesse qu'il se permettait. La seule faiblesse qu'on lui autorisait.

Dans l'intimité de ses appartements, lorsque Astra se couchait et projetait une douce lumière orangée par la baie vitrée. Lorsque le vent venait caresser son visage avec cette douceur qui lui rappelait un autre homme. Il se donnait le droit de penser à lui alors qu'il s'injectait le remède douloureux et coûteux qui lui permettait de garder sa place.

Le liquide avait beau lui donner l'impression de le brûler de l'intérieur, il ne pouvait faire autrement. Et toutes les semaines à la même heure il s'infligeait ce traitement et s'autorisait à penser à lui. C'était le prix à payer.

Il étendit les bras et se leva. Il vérifia que toutes ses articulations fonctionnaient correctement et commença à ranger le matériel qui effaçait sa différence, les mains encore tremblantes.

Une fois que toutes les preuves furent mises sous clé dans un vieux étui de violon, il osa enfin croiser son regard. Il regretta. Le jeune homme brun et faussement assuré auquel il faisait habituellement face avait disparu, remplacé par un garçon à peine sorti de l'adolescence, aux yeux bouffis et aux cheveux décoiffés.

Il détourna les yeux et ouvrit le robinet. L'eau vint effacer les traces salées qui collaient à sa peau. Il laissa le lavabo se remplir et retint sa respiration aussi longtemps que possible. Il savait bien que fantasmer sa noyade n'était pas un comportement sain ni habituel et pourtant il ne pouvait s'empêcher de rejouer sa mort, douce et lente agonie.

Des coups discrets mirent fin à son petit plaisir.

Il releva la tête dans un mouvement brusque qui projeta des gouttelettes tout autour de lui. Il saisit une serviette et s'essuya en vitesse, puis baissa ses manches en panique pour cacher toute trace de ces honteuses piqûres.

— Qui est là ? demanda-t-il.

— Monsieur le prince, la grande comtesse de Droit vous attend dans le hall, annonça une voix.

— Dites-lui que j'arrive, répondit sèchement le prince.

— Bien mon prince.

Le jeune homme soupira.

Ce n'était pas la grande comtesse qui le mettait dans cet état. Au contraire, depuis qu'elle était arrivée, elle avait été une véritable bouffée d'air dans son quotidien monotone et réglé. En revanche, le bal auquel ils devaient se rendre tous les deux en l'honneur de son oncle ne l'enchantait guère.

Il enfila en vitesse la veste qu'il avait retirée avant sa piqûre. Il aurait dû s'y prendre plus tôt au lieu d'attendre le crépuscule. Ses habits empestaient l'anxiété, la sueur et la douleur qui suivaient chaque prise de son traitement.

Il rangea le matériel dans le placard puis s'aspergea en vitesse de parfum et sortit de ses appartements. Aussitôt, des silhouettes se mirent à le précéder. Silencieuses ombres qu'il voyait à peine. Certaines plus familières que d'autres. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, elles avaient toujours été là pour lui ouvrir les portes, lui apporter à boire lorsqu'il le désirait ou un morceau de sucre lorsqu'il en avait besoin.

— Je vois que vous aimez toujours autant vous faire attendre, l'accueillit la comtesse avec une légère révérence.

Le prince était toujours impressionné de la vitesse avec laquelle elle parvenait à signer. Il avait beau passer chaque moment de libre à apprendre sa langue, il avait toujours l'impression d'être un débutant à ses côtés.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now