XXXIV.

110 10 3
                                    

 Baghera avala la bouillie qu'on lui avait servie. Elle commençait à s'habituer à la vie souterraine, même si elle ne pouvait pas s'y projeter à long terme. L'idée que des dizaines, voire des centaines d'altérants s'étaient résolus à vivre ici pour trouver la paix la révoltait.

Elle avait bien sûr été victime et mise de côté comme tous les autres. Mais jamais au point d'imaginer venir s'enterrer dans cette puanteur sans astres. Elle n'était pas particulièrement claustrophobe, mais l'endroit la mettait mal à l'aise. Surtout lorsque Ava disparaissait en scellant l'entrée derrière elle. Aucun des autres altérants ne maîtrisait la terre... Elle se disait que les invocations de Tip pourraient venir à bout de la paroi si cela s'avérait nécessaire, mais elle ne lui avait pas demandé. S'il répondait que non, elle n'était pas certaine de pouvoir garder son calme entre quatre murs.

Ponce était assis en tailleur, un paquet de feuilles devant lui. Ses plans, malheureusement. Pas des feuilles de tabac. Ce que Baghera aurait préféré. Le manque commençait à se faire cruellement sentir...

Antoine supportait également assez mal la situation. Il avait les ongles en sang, à force d'avoir tenté de récupérer la moindre poussière de tabac qui restait dessous.

— C'est dégueu cette merde.

Il s'apprêtait à lancer son bol quand la main autoritaire de Ponce vint mettre fin à son mouvement.

— Bouffe. Même si c'est dégueu. Si tu veux qu'on ait une chance d'arriver à faire quoi que ce soit là-haut, on aura besoin de toute l'énergie qu'on peut prendre.

Antoine semblait sur le point de répliquer, mais se ravisa et enfourna une nouvelle cuillère dans sa bouche.

Baghera sentit un frisson la parcourir. L'ambiance était déjà tendue quand ils étaient arrivés ici, mais le fait de devoir bientôt passer à l'action n'aidait pas. Tip et PV avaient essayé de jouer un peu pour détendre tout le monde, mais c'était peine perdue.

Les vies de tous leurs amis pesaient sur leurs épaules, et elles étaient lourdes à porter. Baghera essayait de ne pas penser à ce qu'il passerait s'ils échouaient. Si elle échouait. Parce qu'elle jouait un rôle central dans la tentative de libération de Ponce. Enfin, son altération jouait un rôle central... et contrairement au brun, elle ne la maîtrisait pas si bien.

Elle avait appris très tôt que le feu c'était sympa, mais que ça brûlait. Et pas seulement les autres malheureusement. Horty gardait encore une belle marque dans la nuque d'un de ses éclats de jeunesse.

Pour lutter contre le stress, la jeune femme était retombée dans ses travers. La bouffe. On l'avait tellement affamé pendant son séjour en camp qu'elle n'avait jamais pu reprendre une relation saine avec la nourriture. Ou la bouffe, comme elle l'appelait, crachant le mot du bout des lèvres. Ce qu'Ava avait à offrir avait beau ne pas être particulièrement délicieux, c'était suffisant. Si elle retournait en prison, elle savait qu'il n'y aurait rien, quant à ce qu'il y avait après la mort...

Non.

Il n'y aurait pas de mort. Ils allaient réussir. Elle allait sauver Horty et tous les autres. Elle n'avait pas le droit d'abandonner et de partir perdante, c'était déjà le début de la fin. Elle jeta un coup d'œil à la poignée de visages familiers qui l'entouraient.

PV et Tips étaient installés contre le mur, discutant avec Onutrem, leur bol à peine entamé. MV était manifestement en train de former une petite sculpture à base du contenu de son assiette. OP mangeait en jetant des regards curieux un peu partout. Ponce avait récupéré sa portion et s'efforçait de tout avaler en gardant un œil sur Antoine, qui semblait apprécier moyennement l'attention qu'on lui portait. Quand il fut certain que le noble finirait son repas, il se pencha vers MV pour lui parler à voix basse.

— Bon ! Euh ! C'est pas la joie, mais c'est pas une raison de faire cette tête d'enterrement, hein ! tenta Baghera.

Tous les regards se tournèrent vers elle. Elle resigna sa phrase à l'attention d'ONU et de MV, ce qui lui permit de se donner une contenance pour continuer.

— Alors, euh... oui. C'est la merde. Globalement, y a pas vraiment de bonnes nouvelles, parce que... bah on veut nous tuer et nos potes sont dans la merde, mais... on a un plan !

C'était quand même vachement dur les discours motivants, elle devrait féliciter ZeratoR pour la qualité des siens quand elle le reverrait, clairement, on l'appréciait pas à sa juste valeur.

— Donc, ce que je veux dire, c'est que... même si la situation est pas au top, il faut pas qu'on parte perdants, parce que sinon, on a vraiment perdu !

Un silence suivit sa punchline qui sonnait bien mieux dans son esprit. Le groupe échangea des regards, un peu confus.

— Euh... c'est fini ? demanda Antoine.

— Baghera a raison, intervint Ponce. On dirait qu'on est en train de prendre notre dernier repas. Bordel, je sais que le plan dans lequel on s'embarque est pas facile, mais si on y croit pas, qui va y croire ?

— Moi j'y crois à votre plan, hein.

Le vent de motivation qui avait traversé la pièce fut douché par les mots d'OP.

— Non, mais en fait... je sais... pas.. je voulais juste dire. Que bon, voilà, je suis resté chez vous que vingt-quatre heures et ça avait l'air vraiment cool, et j'ai bien envie de voir ce que ça ferait d'y rester plus longtemps quoi...

— Ouais, elle a raison, si on a réussi à faire ça une fois, il y a pas de raison qu'on y arrive pas une deuxième fois !

Baghera avait tenté de prendre le train en marche. Techniquement, eux n'avaient fait que suivre ZeratoR et les plus anciens qui s'étaient battus pour créer leur idylle. Ils avaient trouvé un refuge sans avoir eu à se sacrifier pour le créer. Ça semblait normal de leur rendre la pareille. Et même si ça ne serait jamais vraiment comme avant, il fallait essayer.

— Vous êtes vraiment pitoyables en discours, lâcha MV.

Il détruisit sa tour en bouillie d'un coup de cuillère bien placé et l'enfourna dans sa bouche.

— Je peux vous dire que si Zera m'avait parlé comme ça, jamais je l'aurais suivi. Heureusement, lui avait la chance d'avoir du charisme, continua-t-il la bouche pleine.

Tous les regards s'étaient tournés vers lui.

— Le plan de Ponce, il a peu de chances de marcher. Et pour dire la vérité, si on en ressort tous vivants ça serait un miracle... Mais de toute façon, ils veulent nous voir crever, et je peux vous dire que quitte à crever, je préfère mille fois leur faire un doigt d'honneur avant de les revoir en enfer que de me terrer ici à bouffer de la merde en boîte. Et je pense que vous aussi. Je me trompe ?

Des sourires et des rires discrets d'assentiment fusèrent.

— Alors, profitez de ce dernier repas parce que je peux vous dire que le prochain aura intérêt à être délicieux, qu'il soit dans cette vie ou dans l'autre. Maintenant, bouffez, relisez le plan et préparez-vous. On va pas mourir en chialant, quand même.

Un cri d'assentiment secoua la troupe et les discussions repartirent d'un coup, un cercle se formant autour des feuilles de Ponce.

Baghera profita du mouvement pour se rapprocher de MV.

— Merci pour le coup de main, glissa-t-elle.

— De rien, tu me faisais de la peine.

— Ah... bah super, merci.

— Ça me fait plaisir, allez, concentre-toi, notre grand gourou a la parole.

Mais le grand gourou en question fut interrompu par une ouverture dans le mur alors qu'Ava rentrait.

— J'ai repéré la voiture, le déménagement vient de commencer. C'est le moment, annonça-t-elle.

La Troupe des DamnésWhere stories live. Discover now