XXVIII.

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Enfin libre. Le démon jubilait. On avait essayé de le faire taire, de l'humilier, de l'affaiblir alors qu'il était bien plus puissant que toutes ces merdes, toute cette sous-race. Il se souvenait vaguement avoir eu un surnom comme eux, avoir dû prétendre qu'il était faible. Se soumettre. On avait essayé de le tuer, mais on ne tuait pas un Dieu.

Il se jeta en avant et se heurta à un obstacle qu'il ne pouvait identifier.

Son monde se réduisait à d'étranges formes et à des lumières pleines de vie au milieu. Comme celle de ce niais de Ponce.

Un garçon puissant, presque intelligent. Il avait compris que la violence était la seule option. Mais il manquait d'ambition. Être libre ?

Ah ah ah...

Pourquoi être libre quand on pouvait régner ?

— Zera, calme-toi, je sais que t'es là, ça va aller.

Quelque chose remua au fond de lui. C'était l'Autre. Celui qui pensait pouvoir le contrôler et qui prétendait tenir les rênes. Comme si un petit calibre dans son genre pouvait faire quoi que ce soit contre lui.

— Pars...

Le démon entendit les mots prononcés de sa voix rauque alors qu'il n'en avait pas donné l'ordre et sourit. Il ne pouvait pas perdre le contrôle. Pas aussi rapidement après l'avoir récupéré. Il fallait qu'il se nourrisse, qu'il retrouve ses forces.

— Ponce, c'est moi... tu vas pas me laisser seul... j'ai besoin de toi, gémit-il.

Une belle imitation de l'être médiocre dont il habitait le corps. S'il avait eu accès à toute sa puissance, il aurait pu briser d'un claquement de doigts la salle et Ponce avec. Il se serait délecté de cette âme. Une âme altérante, il imaginait déjà la puissance qui glisserait en lui.

Le rebelle de pacotille hésitait.

— Ponpon... c'est moi... tu vois bien... Je... j'ai si peur.

— Laisse-le tranquille.

Le démon ignora la voix de l'Autre qui résonnait dans sa tête. Bientôt, il pourrait la faire taire à jamais. Si seulement on le laissait récupérer sa force.

Il fit un pas vers sa proie.

— Ponpon, sans toi... je suis rien... je ferai tout pour toi... tu sais.

Au moins son charme fonctionnait toujours. C'était une bonne chose. Les humains étaient faibles et stupides, les altérants légèrement plus malins, mais retenus par toutes ces normes mises en place... Et dire qu'il avait appartenu à cette race... l'idée le dégoûtait.

Plus que quelques pas et sa victime lui appartiendrait. Toute cette vie se mettrait à flotter en lui. Il ferait taire l'Autre en lui offrant la compagnie de son petit-ami, quelle réunion touchante.

Plonger ensemble dans la souffrance éternelle, y avait-il plus romantique ?

— Ponpon...

Comment libérer l'âme le plus efficacement possible ? Il pourrait lui exploser le crâne sur le mur. Direct, efficace. Un peu salissant, mais il n'avait rien contre une petite coupe de sang. C'était toujours revigorant.

— Désolé, Zera...

Le démon esquiva de justesse l'attaque du rebelle débutant. Elle l'aurait heurté de plein fouet s'il n'avait pas eu la faiblesse de s'excuser. Définitivement, il n'y avait rien à sauver chez lui. S'il l'avait touché assez fort pour le faire tomber dans les pommes, il aurait pu sauver son copain, l'aider à reprendre le contrôle.

Pitoyable.

— Ponpon ? Pourquoi tu me fais ça ? geignit-il à nouveau. Je t'aime.

— Ta gueule !

Cette fois, sa proie le prit par surprise et traversa le mur vers lequel il l'avait poussé pour fuir la salle. Il maîtrisait le bois... évidemment. Cette petite merde avait tout calculé. Fou de rage, le démon ne put réprimer un cri et brisa le masque qu'il s'était créé. De toute évidence, il n'arriverait à rien en se faisant passer pour l'autre aveugle insignifiant, alors autant conserver son honneur. Il fallait qu'il agisse vite.

Il traversa à son tour la paroi, la brisant au passage.

Comme il s'y attendait, sa cible n'avait pas eu le temps de s'éloigner et il atterrit de tout son poids sur lui.

Quelque chose craqua sous ses genoux. Une côte ou deux, il espérait.

Il resserra ses mains sur le maigre cou de sa victime. C'était moins efficace qu'un bon coup en plein visage, mais c'était plus délicieux.

— Dégage, lâche-moi !

Le sentir se débattre ainsi était amusant. Il devait l'admettre.

— Chut, calme toi, mon petit Ponpon, souffla-t-il.

— Arrête de m'appeler comme ça ! Arrête de te faire passer pour lui.

Au fond de lui, l'Autre le suppliait de ne pas faire de mal à son cher et tendre. Comme c'était touchant.

— Oh... c'est ça qui t'énerve. Que je prenne le corps de ton chéri. Mais entre nous. Ça vaut mieux pour la cause, non ? Il fait quoi pour les altérants à part vous faire jouer des numéros comme dans un zoo ton gentil amoureux ? Hein ? Pense à ce que ton sacrifice va apporter. Moi, au moins, j'utiliserai ton pouvoir pour nous remettre à notre place. Si tu pouvais ouvrir les yeux, tu verrais que nous ne sommes pas si différents.

Il se pencha en avant avec un sourire.

— Je vais te faire une confidence, si je n'avais pas besoin de te tuer, je t'aurais peut-être recruté. T'as du potentiel...

La proie ne répondit rien. Elle se débattait plus faiblement. C'était moins amusant. Autant en finir vite et lui briser la nuque.

Il relâcha la pression pour prendre une meilleure prise et comprit aussitôt son erreur.

Une planche en bois vint s'écraser sur son visage et encercla sa tête. Il comprit aussitôt que le mage n'était pas seulement en train de se débattre. Il avait profité de son petit discours pour se saisir d'un morceau du mur qu'il avait brisé pour le neutraliser.

Rapidement une autre planche vint entraver ses bras et ses jambes furent les suivantes. Il se retrouva enfermé dans une boîte qui sentait le sapin.

Il s'était laissé avoir... Il s'était laissé avoir comme un débutant. Il aurait dû finir ça vite. Il aurait dû récupérer ses sens et passer à autre chose. Il sentait la joie de l'Autre, encouragé par les événements, il se tenait de moins en moins tranquille.

— Alors, c'est qui l'humain débile ? cria la voix dans sa tête.

— Ferme ta gueule !

Le démon commençait à manquer de force. Se libérer de ce cercueil était une vraie épreuve, il n'était pas certain de pouvoir s'occuper de son ennemi après, même s'il devait être bien amoché.

Surtout qu'avec les yeux ainsi bandés, il ne voyait plus sa lumière... il sentait bien sûr le flux qui coulait en lui... mais serait-ce suffisant pour en venir à bout ? Peut-être qu'il devrait abandonner pour cette fois-ci, attendre de récupérer un peu d'énergie... attendre que quelqu'un meure dans les environs... ça devait arriver... s'il y avait un domaine où les êtres humains pouvaient prendre le dessus sur les altérants, c'était bien la mort.

Parfois, reculer était la meilleure chose à faire. S'il utilisait trop de ses pouvoirs, alors l'Autre pourrait peut-être trouver un moyen de se débarrasser de lui, il avait presque réussi par le passé... Ses prisonniers commençaient déjà à remuer et c'était mauvais signe.

Il ferma les yeux et regagna les ombres.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant