Les couloirs de la mémoire

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Cinq jours s'étaient écoulés depuis le retour de Londres. Romane  avait navigué entre un remplacement d'urgence pour la chaîne, - une collègue malade - et un semblant de retour à la vie normale qui ne l'était pas. Christine, la chef maquilleuse n'avait pas pour habitude de rappeler une personne pendant ses congés, pourtant Romane déjà bien occupée n'avait pas hésité à lui sauver la mise. Bien-sûr une entrevue avec Érine, son amie d'enfance, fut incontournable, elle tomba des nues en apprenant les dessous de l'affaire, des larmes furent de nouveau versées face à la tragédie des événements du passé. Il était évident que désormais des décisions s'imposaient et les premiers changements concernaient Rose et sa sécurité, car une héritière vulnérable dans un centre de soin était une proie facile. Avec le recul, elle reconnut que de prendre John comme conseiller d'affaire avait été une idée lumineuse, il se chargeait de la partie financière et décryptait toutes les subtilités de ce milieu complexe pour Romane. Dès que Cath fut dans la confidence, la jeune femme avait senti un poids se lever, pouvant aborder tous les sujets qui la contrariaient - enfin presque - puisqu'elle préféra faire l'impasse sur « la pulsion », c'était le nom qu'elle donnait à la scène du bureau entre Liam et elle. Romane ressentait une sorte de confusion mêlée d'une certaine griserie quand elle songeait à ce moment, alors elle évitait soigneusement d'y penser pour se concentrer sur ses démarches - enfin c'était la version dont elle aurait aimé se convaincre - car elle ne s'expliquait pas cette « pulsion animale » qui l'avait faite chavirer oubliant même ce pourquoi elle était à Londres, en outre cet homme était officiellement son cousin.

Et puis de toute façon il était inutile de jeter de l'huile sur le feu puisque Liam ne l'avait pas encore appelée. Charlène s'était chargée de faire les réservations pour le voyage à Paris de sa désormais tante Flora.

Pour l'heure, elle avait pris rendez-vous au centre de Rose afin de s'entretenir avec l'équipe médicale qui suivait l'évolution de sa maladie. Justine l'infirmière était également présente puisqu'elle suivait la vieille dame au quotidien. Le médecin spécialiste débuta le bilan :

— Madame Saint Clair montre une évolution lente de la maladie mais évidemment ce paramètre peut-être variable et il n'en sera pas toujours ainsi.

— Oui évidement, je comprends bien, répondit Romane d'une voix blanche. Mais pensez-vous qu'il existe de nouveaux moyens pour faire reculer la maladie ? En clair,y-a-t-il des traitements expérimentaux en cours ?

— Mademoiselle Saint Clair, je comprends votre désarroi et je ne suis pas ici pour vous raconter des fables, il n'y a pas encore de traitement pour guérir de la maladie d'Alzheimer ! Assigna brutalement le docteur. La perte de mémoire et autres changements cognitifs dus à la maladie ne peuvent être inversés. On peut juste aider avec de simples gestes pour améliorer le quotidien et des exercices de mémoires.

Cela faisait déjà deux ans que Romane entendait ce discours redondant qu'elle connaissait par cœur, elle ne renoncerait pas pour autant car dorénavant l'argent n'était plus un problème !

Justine vint étayer les propos du spécialiste, on sentait chez elle une belle empathie et elle-même devait désespérer, car assister jour après jour à la fin programmée des patients atteignant le chiffre fatidique et inéluctable de 7 sur l'échelle infernale de ce mal finissait par l'atteindre personnellement.

Justine vint étayer les propos du spécialiste, on sentait chez elle une belle empathie et elle-même devait désespérer, car assister jour après jour à la fin programmée des patients atteignant le chiffre fatidique et inéluctable de 7 sur l'échelle ...

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— Ce qui est vraiment essentielle pour faire reculer la maladie, débuta Justine, c'est de stimuler l'activité mentale de la personne atteinte dès le début. Rose est arrivée suffisamment tôt pour que des activités de lecture, écriture, musique et autres, lui soient proposées. Vous avez fait le meilleur choix pour votre maman,entretenir les liens sociaux était également primordial !

— Merci pour votre bienveillance Justine, adressa la jeune femme à la soignante. Placer ma mère ici me tourmentait surtout par le fait que nous n'allions plus nous voir tous les jours comme avant alors que le temps devenait plus précieux encore... Cela dit si je souhaitais vous voir c'est parce que je suis confrontée à une situation peu banale, Romane avait la sensation de marcher sur des œufs, dire le strict nécessaire était la consigne qu'elle s'était fixée.

— Voilà,je viens d'apprendre l'existence d'une sœur pour ma mère,celle-ci souhaite la rencontrer pour lier des liens pendant le temps qu'il leur reste.

— Votre mère savait qu'elle avait une sœur ? Questionna illico Justine.

— Moi, je n'en ai jamais eu connaissance, mais elle, c'est la question qui se pose...

Le médecin prit à son tour la parole :

— Le stress est très mauvais, il accélère la maladie, je vous conseille vivement de ne pas dire à votre mère qui elle est vraiment !

— Je n'avais pas pensé à ça, avoua Romane décontenancée.

— Si vous expliquez à sa sœur les motifs qui vous poussent à vous taire, elle comprendra sans doute sachant que c'est uniquement pour prolonger l'existence de madame Saint Clair,même si c'est injuste pour elles.... Tenta Justine.


— C'est impossible de la tromper... elles sont jumelles, confessa Romane.

— Très intéressant, intervint le spécialiste soudain piqué par la curiosité, je souhaite être présent quand la visite aura lieu, il n'y a pas d'antécédent de ce type de cas et je préfère que la situation reste sous contrôle.

Le rendez-vous terminé, Romane rendit visite à Rose. Toutes les deux se promenèrent dans le parc avoisinant le centre, Rose connaissait toutes les essences forestières qui boisaient les lieux, elle avait toujours aimé la botanique. Elle nommait Magnolias, Séquoias centenaires et autres feuillus. Interpellée pour la première fois par cette passion, Romane lui posa une question banale de prime abord :


— Maman, tu ne m'as jamais dit d'où te venait cette amour des arbres, des fleurs et des plantes ?


— C'est de Violette que ça me vient... répondit-elle naturellement alors qu'elle cueillait une pâquerette.  

Romane abasourdie se demanda un instant si elle avait bien entendu.


***

Plonger dans tes yeuxWhere stories live. Discover now