Repos éternel

805 83 34
                                    

D'abord, elle se dit que c'était le fruit de son imagination, puis très vite, elle conclut que non. Elle ne croyait pas au surnaturel, ni aux messages des cieux, mais sa prière suivie de ce sifflement en réponse immédiate lui donna la chair de poule, faisant dresser le fin duvet de ses bras au garde-à-vous. Elle aiguisa son ouïe pour se concentrer uniquement sur ce bruit qui semblait lointain. Au fur et à mesure de ses pas, elle finit par discerner une mélodie bien loin du chant religieux... « Despacito » aussitôt elle rit de sa bêtise « la puissance de mes espérances arrive à me faire croire n'importe quoi » se dit-elle, doutant fortement que l'écho de sa supplique puisse être le dernier tube latino de l'été. 

C'est derrière un caveau imposant qu'elle trouva le siffleur. L'homme concentré par son maçonnage ne remarqua pas sa présence. Il devait avoir une petite trentaine d'années, la carrure imposante, la peau tannée par le soleil. Ses cheveux mi-longs, noirs corbeau étaient trempés de sueur et lui collaient au crâne. La femme acta sa présence en lançant un « bonjour monsieur ! » pétillant qui fit faire un bond au maçon.

— Eh ! Vous m'avez fait peur ! Cria-t-il.

— Excusez-moi ! Ce n'était pas mon intention, répondit Romane confuse. Je voulais juste vous demander un renseignement...

— Bien, ben allez-y alors ! grogna-t-il.

— Je cherche la tombe d'une parente et je ne la trouve pas, tenta-t-elle alors.

L'ouvrier détailla la jeune femme, tout en saisissant une bouteille pour se désaltérer. L'eau se déversa le long de sa gorge et ruissela sur son torse musclé,  ses mains épaisses de travailleur du bâtiment étaient maculées de ciment séché. Cette vision avait quelque chose de sensuelle et aurait fait un très beau cliché, pensa Romane. L'homme abreuvé lui fit un petit sourire, il était conscient de ses attraits et ne s'en cachait pas.

— C'est quoi son nom ?

— Violette Jolie, souffla-t-elle.

— Connais pas ! C'est pas une cliente ici, affirma-t-il sûr de lui.

Perplexe, Romane fit une moue quelque peu sceptique que l'homme reçut comme telle.

— Vous croyez que je connais pas mes locataires ! On est fossoyeur de père en fils dans la famille sur trois générations, j'ai appris à marcher dans les allées de ce cimetière et à lire aussi, sur les tombes. Alors si je vous dis qu'elle n'est pas là, c'est qu'elle est pas là ! Affirma-t-il agacé.

« Merci ! l'arrogant se dit Romane. Ce qu'il me dit, de toute façon je le sais déjà ! William, Liam et même Jacques Lemoine, le détective privé, sont déjà passés par ici. Si je ne creuse pas, j'en serais au même point qu'eux. »

— Vous avez quoi ?Trente-deux ans ? Questionna-t-elle alors pleine d'assurance.

— Trente-quatre,répondit-il interdit, mais merci quand même, chère demoiselle, de me rajeunir... sauf que je vois pas en quoi ça vous regarde, ni vous avance ?

— Moi, je vois bien! Assura Romane, ce n'est pas à « vous » que je dois parler, c'est à votre père ! Violette est morte en mille neuf cent quarante cinq donc si elle a eu une tombe à une époque ici, lui le saura sans doute !

Le trentenaire sembla réfléchir et finit par concéder ;

— Pas faux. Ses yeux brillèrent, on le surprenait rarement. Il ne se vexa pas de s'être fait moucher par cette inconnue qui était loin d'être idiote. Il savait mieux que quiconque que même si la plupart du temps les cimetières accédaient par la rue de « L'égalité »,la réalité était toute autre. Pour reposer dans ce qui était logiquement la « dernière demeure », il fallait bien sûr payer pour quinze, trente ou cinquante ans renouvelables et dans ce cas finit l'égalité, tout était histoire de gros sous, y compris la sérénité dans la mort. Pour les disparus oubliés ou les familles éteintes, à l'échéance de la concession, on l'appelait, lui, pour l'exhumation et là c'était direction crémation ou ossuaire pour ceux qui avaient laissé leurs volontés. Alors mille neuf cent quarante cinq, n'en parlons même pas...

Plonger dans tes yeuxWhere stories live. Discover now