Chapitre 2

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Le vendredi est souvent une journée chargée pour nous. Même plus que le samedi. Sans doute car les gens ont besoin de pouvoir commencer leur déconnexion et détente avant le week-end. Nous vivons dans un monde où tout va très vite, hyper connecté et épuisant. Le Fox apporte un moment de respiration, de retrouvailles et de chaleur.

Clairement, je n'ai jamais vu quelqu'un repartir d'ici de mauvais poil. Même les récalcitrants finissent par sourire, ou se détendre. Cela joue sur la déco aux couleurs que Charles a voulu apaisante. Sans compter la playlist collaborative qu'on a ouverte et qui tourne en boucle dans le café : toute personne travaillant ici à le loisir d'ajouter des chansons, tant qu'il s'agit de quelque chose de relativement doux, souvent de l'indie folk.

Autant dire que cet environnement est propice pour moi à ne pas faire de crises d'angoisses, malgré le rythme parfois effréné. Mais la routine, c'est quelque chose sur lequel j'ai du contrôle. Répéter les mêmes tâches, dans des gestes que je connais sur le bout des doigts m'aident à ne pas vriller.

Certes, il y a toujours une part d'inconnu et d'imprévus, car c'est ainsi que va la vie. Mais la relative régularité de cet aspect de ma vie me fait garder les pieds sur terre. Au moins, pendant ce temps-là, le Monstre reste calme. Même lorsque, comme aujourd'hui, il a décidé de me titiller de la matinée.

—Passez une bonne soirée, dis-je à la jeune fille qui a bossé sur son mémoire toute l'après-midi. Et bon courage surtout !

Elle me décoche un sourire chaleureux, les joues roses avant de me faire un signe timide de la main. Elle sort du café d'un pas un peu gauche, non sans bousculer quelques chaises. Une fois la porte fermée, Estelle à côté de moi derrière le comptoir me donne un coup de coude.

—J'en connais une qui est sous ton charme, me dit-elle avec un rire un peu grave.

Je claque la langue de désapprobation. J'aime beaucoup ma collègue, sa joie de vie, ses taquineries et ses tendances aux commérages m'amusant assez souvent.

Sauf quand ils me concernent, vu à quel point je suis susceptible.

—Arrête tes conneries.

—Mais enfin Hugo... tu n'as pas vu comme elle te regardait ?

—J'ai pas fait gaffe, non.

Sérieusement ?

Je lève les yeux de la caisse que je suis en train de clore. Estelle a la main sur sa hanche, en posture de défi. Elle a attaché ses cheveux bouclés, dégageant son visage tout en rondeur ce qui montre aussi toute la détermination dont elle capable et son expression de pur scepticisme.

Il faut que je calme ses ardeurs de suite ou on pourrait très vite bifurquer sur un terrain dans lequel je ne veux absolument pas m'engager.

—Dois-je te rappeler que je suis gay et que, donc, je ne fais pas spécialement attention aux femmes qui me draguent ?

—Il n'y a aucun rapport. Mec, quand des meufs lesbiennes ou bi me trouvent à leur goût, je le remarque. Je trouve ça grave flatteur d'ailleurs.

—Ce n'est pas mon cas. Je ne repère pas du tout quand on me drague ou qu'on m'envoie des signaux. Tu le sais très bien d'ailleurs.

Cela me rappelle ce moment très gênant ou un type ne cessait de me faire des oeillades d'appréciation durant un service. Cela aurait pu être mignon s'il n'avait pas l'air d'être mon père.

—Ça, c'est parce que tu ne dates pas assez. C'est criminel d'ailleurs, les mecs méritent vraiment que tu leur brises le coeur.

C'est plutôt eux qui vont me le briser.

Ce qu'il reste de toiWhere stories live. Discover now