Chapitre 3

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—Je t'ai pas dit mais je vais devoir former un étudiant demain.

Rémy, mon meilleur ami, lève les yeux de son téléphone pour me jeter un regard surpris par-dessus la fine monture rectangulaire de ses lunettes.

—Un étudiant ? Un nouveau ? A cette période ? C'est pas genre... trop tôt pour l'été et trop tard pour le reste de l'année ?

—Celle qui était là avant est partie, je lui dis en lui tendant une cannette d'Ice Tea avant de m'asseoir à ses côtés sur mon canapé. Charles avait grave besoin de quelqu'un d'autre et le gars était dispo... donc bon, c'est à moi que revient la lourde tâche de le former.

—Sacré Charles. Il doit vraiment penser que t'es parfait pour le rôle.

Rémy pouffe à cette remarque et réajuste l'élastique qui maintient son catogan en place. Il appuie ensuite sa tête sur sa main et me regarde de ses yeux limpides, amusé.

Je bois une gorgée de mon soda tout en foudroyant mon ami du regard.

—C'est pas drôle. S'il fait de la merde, ce sera un peu de ma faute.

—Arrête de paniquer. Tu seras le meilleur pour lui apprendre les ficelles.

—Tu parles. S'il bite pas ce qu'il faut faire dès le début, ça va me stresser. Et tu sais à quel point le stress et moi...

La main de Rémy se pose sur mon genou qu'il presse gentiment.

—Hugo, crois-moi, tout ira bien d'accord ? En plus, si Charles a accepté aussi vite, c'est que le mec doit avoir un bon CV. Donc il doit bien se débrouiller de base. Tu penses pas ?

Je réponds d'un simple « hum ». Il est clair que Rémy a raison. Comment souvent d'ailleurs. Pourtant, j'ai du mal à faire taire mon inquiétude. Parce qu'on brise ma routine si bien huilée. Que je n'ai pas spécialement envie de devoir expliquer les choses cinquante fois.

Je suis déjà épuisé avant même d'avoir commencé. Mon cerveau est parfois trop bruyant, trop rapide à élaborer mille scénarios tous plus catastrophiques les uns que les autres. Au final, tout finit par bien se passer.

Dans la majeure partie des cas.

J'aimerais tant pouvoir foutre une claque des plus violentes à cette voix insidieuse.

—Tu as sans doute raison, je finis par dire après un soupir. Il a l'air sympa en plus. En tout cas, il sourit beaucoup.

—Concentre-toi là-dessus. Pense positif, tout ira bien. Au pire, s'il est nul, tu m'appelles après le boulot et tu t'en plains auprès de moi pour évacuer la pression.

Quand je vois le doux sourire de Rémy, le noeud qui s'est formé dans mon estomac se desserre. Juste un peu.

Mon ami a une des voix les plus douces et apaisantes que je connaisse, sans compter qu'il manie les mots comme peu savent le faire. Depuis presque huit ans – notre dernière année de secondaire – il trouve souvent la bonne formulation pour éteindre mes angoisses. Comme s'il connaissait mon mode d'emploi sur le bout des doigts et qu'il savait quelle commande dégainer en cas de bug de la machine.

Avec moi, les dysfonctionnements sont fréquents. Pourtant, Rémy ne m'a jamais lâché, y compris quand j'ai fait mon coming-out. Toujours là dans ma vie, allié indéfectible qui m'a défendu quand les mecs de ma classe voulaient me harceler.

Je sais quelle chance j'ai de l'avoir à mes côtés. Peu de personnes queer peuvent se targuer d'avoir un ami hétéro comme Rémy, qui n'a jamais assimilé les codes de la masculinité toxique.

Ce qu'il reste de toiWhere stories live. Discover now