LES AMOURS ÉPONYMES 2

51. La vie secrète des Wattpadiens

— Imaginez : vous passez des heures à écrire. Vous mettez votre âme dans votre roman. Et là, quelqu'un en qui vous avez confiance, quelqu'un que vous considérez à tort comme un « ami », détruit votre texte. Publiquement. En profitant de votre absence qu'il a lui-même causée. Ce que j'ai ressenti est... indescriptible. De la rage... de la haine... de la peur, aussi. De la tristesse, un peu. Du dégoût. Beaucoup de dégoût. Quand je prononce le nom d'Hugo, j'ai un arrière-goût de trahison dans la bouche. Mais je me suis juré qu'aujourd'hui, dans une semaine ou dans un mois, je ne le laisserai pas piétiner Mon cœur contre tes peurs comme il l'a fait. Il n'a plus voix au chapitre. Ni maintenant, ni jamais. 

Mon honnêteté a sans doute dépassé les limites, à commencer par les miennes, mais cette question méritait une réponse sincère et honnête.

Mon regard papillonne à droite puis à gauche sous le coup de l'émotion, puis se fixe à nouveau sur la caméra, le temps pour moi de reprendre lentement mon souffle. J'ignore si les Wattpadiens qui se trouvent derrière leur écran ont compris quelque chose à mon charabia, mais j'avais besoin que ça sorte. 

Ça m'a fait du bien, je crois. 

Je ne l'ai pas fait pour moi. Pas vraiment. Je l'ai fait pour l'histoire qui me permet de vivre cette aventure folle et extraordinaire.

— Ça ne m'étonne pas ! s'exclame Antoine dans l'espoir de détendre l'atmosphère. J'ai toujours su qu'Aymeric l'Étourdi était le meilleur. Après Amélie la Sportive, bien sûr ! 

Il se rattrape bien, avec sa référence à « La Course de l'amour », notre saynète de la semaine dernière. 

Avec un sourire, j'attrape la nouvelle pancarte que Megan me tend et la lui donne. Il s'en tire visiblement mieux que moi puisqu'il étouffe un rire en lisant sa question : 

— Si j'en crois ce qui est écrit, beaucoup d'entre vous aimeraient connaître l'origine de mon pseudo, et Eulalune veut savoir si je regrette ce choix.

— C'est vrai que CrocodileDébile, c'est particulier, m'esclaffé-je à mon tour. 

Il se balance sur ses deux pieds avant de se lancer, visiblement nerveux : 

— Comme tout ce qui naît d'un délire ! Je suis allé voir une voyante, une fois, et elle m'a dit que mon animal totem, c'était le crocodile. Pourquoi ? Comment ? Je n'en sais rien ! Toujours est-il que mes amis ont rapidement commencé à m'appeler « crocodile », et j'ai gardé ce surnom au fil des années. Comme Crocodile Dundee est l'un de mes films préférés et que @Crocodile était déjà pris, sur Wattpad, j'ai cherché un mot qui débutait par un -d et qui faisait le même nombre de syllabes que « dundee ». Le seul nom qui m'est venu, c'est... 

— Débile ! complété-je à sa place, morte de rire. Donc si je résume, ton pseudo est issu de ton amour pour un vieux film, et d'un manque d'inspiration ? 

— Plus ou moins, ouais. 

— Quel comble, pour un écrivain ! Et tu n'as jamais pensé à le changer ? Tu peux, tu sais !

— Jamais ! Ton pseudo n'est pas franchement mieux, je te ferais dire ! 

— Quoi ? m'écrié-je, faussement indignée. TheAutumnToMyFalls a une bonne référence !

— OK, OK, j'abandonne ! Je sens que tu vas demander à Eliott Scott de venir me remettre en place, sinon...

— Sage décision, chuchoté-je en adressant un clin d'œil complice à la caméra.