Chapitre 3

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Thomas fut obligé de se rendre à l'évidence : Mika avait tenu sa promesse. Il lui avait dit qu'il ferait cesser l'intimidation qu'il subissait au quotidien et celle-ci s'était réellement arrêtée. Il n'y avait plus de graffitis sur son casier, plus de commentaires blessants qui fusaient dans les couloirs, et ses camarades avaient cessé de se retourner sur son passage pour murmurer des mots à son encontre. D'un côté, Thomas était heureux de la nouvelle, mais cette tranquillité, il l'avait gagné au prix de son corps. Et cela avait un goût amer. Un goût de bile. Il aurait préféré que l'intimidation continue plutôt que de se rappeler du cauchemar qu'il avait subi dans les vestiaires, une fois que ses paupières se fermaient.

Après sa disparition mystérieuse des vestiaires du gymnase, Mika n'était pas revenu lui parler. Même lors de leur deuxième cours en commun, le châtain clair s'était tenu à l'écart avec ses deux meilleurs amis, Laurent et Max. Il n'avait rien tenté pour approcher Thomas. Cependant, ce dernier avait senti son regard vide de toute vie se planter dans ses omoplates à chaque fois que Mika en avait eu la possibilité. Il avait tenté de l'ignorer, en vain. C'était comme une pression dans son dos qui lui rappelait inlassablement qu'il était la cible d'un monstre.

Le vendredi soir arriva rapidement et il aurait dû être soulagé que le week-end lui offre un peu de repos, mais sa nuit était sans sommeil. Il enchaînait les cauchemars, se réveillait en sueur et haletant dans son lit, cherchant à briser la barrière de l'obscurité à l'aide de ses yeux. Il était proche de minuit quand il comprit qu'il n'aurait aucune chance de s'endormir paisiblement. Trop ébranlé, il décida d'aller faire un tour en ville, dans l'espoir que la nuit fraîche lui chasse ses idées noires.

Pédalant sur son vélo, il arriva sur la rue principale qui - même à cette heure tardive - était toujours grouillante de monde. Il se mit à zigzaguer parmi les passants, l'air concentré. Il avait l'impression d'être à nouveau vivant. Il pouvait sentir le vent fouetter son visage, ses poumons recracher l'air et ses muscles se tendre sous l'effort. Il se perdit dans une ruelle, tantôt évitant une voiture, tantôt revenant sur une rue piétonne. Il finit par poser un pied au sol, essoufflé. Il n'avait presque pas mangé depuis son agression, son estomac rapidement comblé, et maintenant, il poussait ses limites.

''Hey, si ce n'est pas notre tapette préférée !'' s'exclama une voix grave dans son dos.

Le sang de Thomas se glaça en reconnaissant la voix de Laurent. Il tourna sa tête vers le garçon qui s'approchait, une cigarette à la main, avec Max à ses côtés.

''Tu cherches une pute à cette heure ? Je crois pas qu'ils prennent les gamins à vélo. Quoi qu'en même temps, les seules chances que quelqu'un veuille bien te défoncer le cul, c'est en le payant.''

Aussitôt, Thomas remonta sur son vélo pour pédaler le plus loin possible des garçons, qui se mirent à lui courir après. Espérant les semer, il traversa une rue, évitant de justesse les voitures qui klaxonnèrent comme des folles à la vue d'un cycliste fou. Malheureusement, en voulant monter sur le trottoir, il prit la bordure du mauvais angle et s'étala sur le ciment, s'éraflant les coudes et les genoux.

Laurent et Max le rattrapèrent en un rien de temps et lui agrippèrent le chandail pour le plaquer sur la devanture d'un magasin. Sa tête cogna sur la brique, faisant résonner un écho dans sa boîte crânienne. Sa vision se floua et le monde autour de lui se mit à tourner.

''Alors, la pédale ? Tu t'es rabiboché avec ton fantasme ou tu le paies pour qu'il se tienne avec toi ? Ah〜 James〜.''

Ils l'imitèrent en train de pousser des gémissements avant d'éclater de rire. Thomas aurait voulu les repousser, leur dire d'aller se faire voir, tout en les suppliant d'arrêter, mais la seule chose qui sortit lorsqu'il osa ouvrir sa bouche fut du vomi. Aussitôt, Laurent le relâcha, dégoûté. À peine avait-il touché le sol, qu'il reçut un coup de pied dans le ventre de la part de Max. Il croyait son heure arrivée. Ils allaient le passer à tabac et on le retrouverait mort, sur le bas-côté de la route. Quelle idée avait-il eu de sortir aussi tard sans prévenir quiconque ? Non pas que ses parents auraient pu y faire grand chose...

Il entendit une voix hurler au loin, mais il ne s'y attarda pas. Il attendit le coup suivant, mais rien ne vint. Il tenta de se remettre debout, poussant sur ses bras, mais le sol tanguait et ses forces le quittaient. Une dispute venait d'éclater à côté de lui, mais il ne put que dégobiller davantage. Il ne comprenait pas l'échange houleux qui se déroulait à quelques mètres de lui et n'en n'avait que faire. Une sueur froide roula le long de sa colonne vertébrale.

Il finit par ressentir un grand froid avant de s'effondrer au sol, incapable de rester éveillé. Une main se déposa sur sa joue et vint ouvrir de force un de ses yeux. On tentait de lui parler, mais il n'entendait qu'un bourdonnement dans ses oreilles et le monde qui se présentait devant lui était flou. Dans la confusion de son esprit, il parvint à capter un mot : ambulance. On venait le sauver ! Quelqu'un avait arrêté ses camarades. Il tenta de lutter contre la brume qui entourait son esprit, ouvrit les yeux, força sa vision et eut un haut-le-coeur en rencontrant les yeux, plus bleus que gris, de Mika. Il paniqua, voulut le repousser, appeler à l'aide, mais le garçon maintint sa main sur sa joue et parla d'une voix calme, presque mécanique :

''Hey, calmes-toi Tommy. Tu dois avoir une commotion cérébrale. Tu as tous les symptômes en tout cas. Ne bouge pas tant que l'ambulance n'est pas arrivée.''

Mais Thomas s'en fichait, il voulait que les mains de Mika quittent son corps pour ne plus y revenir. Il voulait fuir. Mourir. Il se mit à pleurer et cela le vida de ses dernières forces avant de sombrer totalement dans l'inconscience.

Il se réveilla à l'hôpital avec un horrible mal de crâne. Aussitôt, sa mère le prit dans ses bras, voyant son fils tentait de se relever.


''Mon bébé. J'ai eu si peur. Les médecins disent que tu as une commotion légère, mais tu refusais de te réveiller. Une chance que ton ami Mika passait par là.''

À ce nom, Thomas se souvient de la raison qui l'avait conduite ici. Son corps se crispa et il voulut rejeter sa mère tout en lui criant que ce n'était pas son "ami". Qu'il n'avait aucun droit de se faire passer pour tel. Mais il aurait fallu tout lui expliquer, et il ne le pouvait pas. Il ne s'en sentait pas la force.

''Mika ?'' demanda-t-il d'une voix blanche.

''Oui, répondit-elle en caressant la joue de son fils. Quel gentil garçon... Il a fait fuir tes agresseurs et a appelé l'ambulance. Il est resté avec toi jusqu'à ce que j'arrive. Il est parti, il y a un quart d'heure. Tu l'as raté de peu.''

Thomas tenta de se redresser sur son lit d'hôpital. "Quel gentil garçon" et puis quoi encore ? La colère le gagna, outrepassant son hébétude. Il regarda l'heure et constata qu'il n'avait pas dû rester inconscient longtemps.

''Mika n'est pas mon ami.'' contra-t-il sèchement.

''Ce n'est pas ce qu'il m'a dit. Il...''

''Il n'est pas mon ami ! Je le déteste !" cria-t-il pratiquement.

''Thomas, il t'a sauvé la vie.''dit-elle en fronçant les sourcils.

Il avait envie de lui hurler que cette vie, il le lui avait volé. Mika lui avait tout pris. Il se retint, pourtant. Il ne voulait pas inquiéter davantage sa mère. Il ne voulait pas qu'elle sache que malgré son amour, elle avait échoué à le protéger. Que le monde était cruel. Il ne voulait pas qu'elle découvre de quelle manière son fils avait été brisé. D'une façon tellement humiliante... Il retint ses larmes de rage, grinça des dents et encaissa. Parce qu'il n'y avait plus que cela à faire : encaisser.

''Trésor ? Tu vas te reposer cette fin de semaine. Compris ? Je ne veux pas qu'il t'arrive malheur.''

Elle reprit son fils dans ses bras et le serra de nouveau contre elle, tentant de lui donner tout l'amour du monde.

Mais même ses bras protecteurs ne pourraient effacer sa souillure.

Je te déteste (BxB)Where stories live. Discover now