XXVII

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Ondine avançait rapidement, la tête haute. Elle devait accéder à la chambre d'Elysia, où son discours était rangé. Sur chaque porte, les noms de ses occupants étaient inscrits, et Ondine pouvait en un regard trouver les chambres de tout le monde. Elle observa quelques instants la porte où était gravé « bureau de la directrice » ; puis, elle tourna directement dans le couloir à gauche, plutôt que de continuer tout droit. Le couloir semblait plus court de ce côté-là ; elle pourrait le faire en courant en cas de soucis.

  Quelques pas plus tard, elle atteignit la chambre d'Elysia, qui ne se trouvait que trois salles éloignées de celle d'Aurélien. « Pratique », songea Ondine, dont les chaussures frôlait délicatement le sol à chaque pas. « Ils peuvent discrètement se retrouver quand ils veulent, sans être vus ».

  Ensuite, Ondine tenta d'ouvrir la porte, désespérément. Elle n'avait pas de clef, et encore moins de moyens d'accéder à la chambre. Alors, elle se mit à chercher en vain une porte dérobée : c'était un château, et souvent, des passages de domestiques avaient été construits afin que les propriétaires puissent être tranquilles tout en ayant des personnes à leur service. Terrible, de nos jours : à l'époque, c'était normal.

  Cependant, Ondine ne trouva rien. Alors, elle partit en courant, et sortit par la première porte possible. Le dernier moyen se trouvait au niveau des fenêtres. Elle compta donc le nombre de fenêtres, avant d'atteindre (normalement) celle d'Elysia. Là, ce fut plus simple pour l'ouvrir, car Elysia avait laissé la fenêtre contre. Quelle bêtise. Evidemment, Ondine avait revêtu ses gants, afin de ne pas laisser ses empreintes. Un conseil de son père, bien sûr.

  Ondine se glissa dans la pièce, et observa quelques instants les lieux. Un lit, des armoires et commodes, une bibliothèque, deux fauteuils face à la cheminée, et un bureau. Sans attendre, Ondine courut jusqu'au bureau, et n'eut aucune peine à trouver le discours. Il était posé au centre de la table, bien rangé. Tout était bien classé et organisé, au centimètre près. La princesse l'attrapa, tremblante. Ce n'était pas le moment de flancher ! Au fond, elle n'avait pas honte, non. Elle agissait au nom de son père, et même si cela ne l'arrangeait pas forcément, elle ne pouvait que le faire. Pour l'Okeanos.

   Soudainement, elle entendit du bruit provenant de la serrure de la porte. La jeune femme marmonna un juron, et sauta dans l'armoire à sa gauche : une penderie, heureusement. Elle eut à peine le temps de refermer la porte que celle de la chambre s'ouvrait.

  — Calme-toi, 'Zya.

  — Je stresse, répliqua la directrice. Le Président est aimable, mais je ressens son exigence, et... Enfin...

  — Tout va bien. Il a l'air d'apprécier l'école, et il t'apprécie aussi. Ne t'en fais pas.

  Elysia haussa les épaules. Ondine parvenait à la voir, cachée derrière le bois de l'armoire. Elle serrait contre elle les papiers, comme si sa vie en dépendait : si elle était prise là, elle serait morte.

  A la plus grande surprise d'Ondine, Elysia n'attendit pas un instant pour s'approcher d'Aurélien, et lui tomber dans les bras. Cela fit sourire le jeune homme (elle nota qu'il ne souriait qu'en sa présence, par ailleurs), qui caressa lentement sa chevelure, en murmurant :

  — Ne t'en fais pas. Je suis derrière toi, prêt à te soutenir. Et tu vas t'en sortir, c'est bientôt fini.

  Elysia hocha lentement la tête de haut en bas. Elle poussa un soupir, et dit :

  — Il a évoqué le scandale avec l'Okeanos. Il m'a demandé si c'était vrai, j'ai répondu que oui, et que j'étais bien la fille du fils illégitime. Il m'a demandé si cela allait entrer en compte dans la bonne gestion de l'Académie, j'ai répondu que non, et que ma famille avait connu de pires scandales. Pour finir, il m'a demandé si la présence d'Ondine n'était pas dérangeante, et si elle n'avait rien fait de particulier au nom d'Okeanos. Je pense qu'il craignait que le fait qu'elle ait rejoint l'Académie ne soit un moyen géopolitique pour Nérée d'atteindre la France.

  — Il a raison de s'interroger.

  — Je sais.

  Ils partagèrent encore leur étreinte quelques instants. La jeune femme finit par relever la tête vers lui, pour observer son visage. Elle avait tant de douceur dans le regard qu'Aurélien lui-même en fut surpris. Il resta muet, suspendu à ses yeux, puis l'écouta murmurer :

  — Merci d'être là. Vraiment.

  Ondine sentit sa respiration se couper. Si on l'avait regardée comme ça, peut-être qu'elle aurait lâché toutes ses réserves face à la personne. Comment faisait-elle pour ne pas prendre conscience qu'elle l'appréciait ? C'était indéniable ! Elle planta le regard sur le duo, le souffle coupé. Ils devaient s'embrasser. Comme à la télé. Ou elle serait frustrée elle-même.

    — Tu... Tu devrais récupérer ton discours, je... Je pense, balbutia Aurélien, avant de déglutir.

  Elysia fronça légèrement les sourcils. Elle posa le regard sur son bureau, et remarqua immédiatement que son discours avait disparu. La jeune femme se défit de l'étreinte du jeune homme, qui souffla, comme soulagé. Son cœur s'affolait dans la poitrine, et il craignait de céder à la pulsion de sceller ses lèvres aux siennes. Mais non, c'était mal.

  Ondine retint un tic agacé. Roh. Quels idiots. Elysia fouilla sur le bureau, et marmonna une succession de jurons, avant de relever le regard vers la fenêtre face à elle. Ouverte, bien sûr. Ondine ne l'avait pas fermée.

  — Tout va bien, Ely' ? demanda Aurélien en s'approchant.

  — Mon discours a disparu. Et la fenêtre est ouverte, alors que je l'avais fermée.

  — Quoi ? Mais... Tu as une copie ?

  Elysia hocha la tête de gauche à droite. Non, elle avait tout rédigé à la main, et elle avait jeté le brouillon plusieurs jours auparavant. Elle grinça :

  — Un coup des journalistes. Ils doivent désirer saboter mon discours !

  Aurélien plissa les lèvres, paniqué. Elle ne devait avoir encore que cinq minutes, grand maximum, avant de se présenter face à tout le monde pour la conférence de presse. Elle n'aurait jamais le temps de le réécrire.

  — Merde, marmonna Aurélien. Il faut que tu y ailles, Elysia, tu vas être en retard.

  Elysia lui jeta un regard affolé. Elle vida tout son bureau, balançant tous les papiers par terre, et balbutia :

  — Non, non, non ! Je ne peux pas avoir perdu le discours ! Tout était prêt, Aurél', à la ligne près ! Au point près ! Je... Oh, non !

  — Calme-toi, Ely'. Je serai dans la salle, et tu vas réussir à faire un discours. Tu es excellente en improvisation, et si tu l'as écrit une fois, cela veut dire que tu l'as pensé, et que tu pourras le re-penser une deuxième fois.

  — Mais ce n'est pas pareil, et...

  — Si, la coupa-t-il. C'est exactement pareil. Alors maintenant, reprit-il en la prenant par les épaules, tu vas t'y rendre. Tu vas montrer à tous ces idiots de journaliste que tu es forte, que tu es une directrice hors-pair et tu rendras fière ta famille.

  Elysia secoua la tête. Elle prit quelques secondes pour respirer, avant de souffler :

  — Tu seras là ?

  — Bien sûr. Derrière toi. Prêt à t'aider si besoin.

  Elysia hocha lentement la tête de haut en bas. Elle finit par murmurer :

  — Merci, Aurélien.

  La jeune femme se hissa sur la pointe des pieds. Elle déposa un baiser sur le coin de ses lèvres, aussi léger qu'une brise d'été ; Aurélien en fut surpris, car même si elle ne l'avait pas embrassée, elle n'en semblait pas loin. Que faisait-elle ? Sans doute avait-elle glissé... Elysia elle-même parut surprise par son geste. Elle sourit comme si de rien n'était, et lança :

  — Euh... Tu viens ?

  — Oui, répondit-il simplement.

  Elysia lui sourit, et partit fermer la fenêtre, avant de sortir avec Aurélien. Ondine attendit quelques minutes dans le silence, le cœur battant. Elle avait assisté à un presque « bisou » entre la directrice et son prétendu meilleur ami. Et contre elle, elle serrait le discours comme si sa vie en dépendait.

  Elle avait réussi sa mission.

L'Académie d'Écriture [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant