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Elysia avait passé sa nuit à écrire. Aurélien était rentré à deux heures du matin, d'après ce qu'elle avait pu entendre dans les couloirs, mais elle n'était pas allée le voir ; non seulement son lit était bien trop confortable pour être quitté, mais en plus, elle ne savait toujours pas quoi lui dire. Alors, la directrice de l'Académie avait continué d'écrire, jusqu'à manquer de s'endormir sur son écran.

  Le lendemain, il fut évident qu'elle ne se leva pas avant onze heures. Elle décida de sauter le petit-déjeuner, et se prépara tranquillement pour la journée ; Elysia revêtit sa tenue habituelle, mais avant cela, se réserva une petite heure pour faire des soins pour ses cheveux et son visage, car cela faisait longtemps. Ah, elle se sentait plus libre, d'un seul coup, sans toute la pression liée à ses responsabilités ! Elle avait bien fait de s'avancer durant les vacances, au moins, elle pouvait profiter de ses journées.

  Du côté d'Aurélien, la matinée était plus pénible. Il s'était couché tard, et s'était réveillé tôt. Il maudissait encore l'annulation de son train, car il serait rentré vers dix-sept heures à l'Académie, et aurait même pu aider Elysia à accueillir les élèves. Il fit cours le plus normalement possible, comme s'il n'était pas épuisé. Il avait passé une semaine géniale, à se ressourcer sur les berges de Venise et installé dans le Colisée. Aurélien avait toujours rêvé d'écrire un livre qui se déroulait en Italie, et avait noirci les pages d'un carnet avec toutes les idées qu'il avait eues.

  La journée, Aurélien passait son temps avec ses quatre amis. Ils s'étaient rencontrés, avec deux d'entre eux, à l'Académie lorsqu'ils étaient encore élèves. D'ailleurs, ils connaissaient bien Elysia, et lorsqu'Aurélien avait évoqué le fameux baiser, aucun n'en fut surpris : ils savaient depuis des années que leur ami aimait la directrice de l'Académie, et cela commençait à faire long pour qu'ils s'avouent leurs sentiments. Aurélien avait rapidement changé de sujet.

  Il s'en voulait terriblement. Après le retour d'Elysia, ils n'avaient presque pas parlé, et il n'avait même pas osé aller la voir pour prendre des nouvelles. Non. Il était resté dans sa chambre, à hésiter. Aurélien était terrifié, pour deux raisons : la première, il craignait qu'elle ne lui dise que ce baiser était une erreur. La deuxième, il n'était pas prêt à ce qu'elle l'aime. Après des années à l'avoir espéré, ce qu'il désirait le plus au monde arrivait enfin, et il n'arrivait pas à l'admettre. Elysia ne pouvait pas l'aimer, non ; il devait rêver. Elle changerait vite d'avis lorsqu'elle le verrait sous un autre angle, et elle lui briserait le cœur. Pourtant, Aurélien savait qu'il l'aimait assez pour tout de même se jeter à ses pieds dès qu'elle le voudrait dès qu'elle l'aurait détruit.

  Alors, il avait repoussé le moment de lui reparler. Elle l'avait croisé, alors qu'il quittait sa chambre avec sa valise ; Elysia avait semblé inquiète, et lui avait demandé de lui envoyer un message lorsqu'il arriverait. Il l'avait fait. Et c'était tout. Rien de plus de toute la semaine. Aurélien n'avait pas osé faire plus, par peur. Depuis qu'il avait pris le train pour rentrer de Rome, il avait angoissé, et avait finalement pris son courage à deux mains pour lui envoyer un message. Enfin, il n'avait pas eu le choix : il voulait l'alerter qu'il ne raterait pas la rentrée, en tant que professeur avant tout. Elysia avait paru normale, comme s'il n'y avait rien eu.

  Côme, un des meilleurs amis d'Aurélien présent lors du voyage, avait vu qu'il semblait mal à l'aise dès que le nom d'Elysia était évoqué dans une conversation. Cela n'arrivait pas souvent, mais Côme avait su le voir ; ainsi, il en parla avec Aurélien, qui se confia à lui.

  — C'est qu'un bisou, Aurél ! s'était exclamé Côme.

  — Ouais, mais c'était avec Elysia. Ma meilleure amie. Et c'était pas un simple bisou, comme tu dis, c'était plus que ça. J'avais l'impression qu'elle m'aimait, avec la manière dont elle me regardait, et... Je suis effrayé.

  En bref : Aurélien fuyait la conversation. Tant qu'Elysia ne le confrontait pas, il n'en dirait rien. Néanmoins, Elysia semblait l'attendre également : l'affaire n'avancerait jamais. Le midi, Aurélien partit en traînant les pieds jusqu'à la salle à manger. Elysia n'était pas là, malheureusement. Il aurait aimé tenter de discuter avec elle à table, cela aurait été plus simple pour reprendre une amitié approximativement normale, en attendant d'avoir la discussion qu'il redoutait tant.

  Le jeune homme s'installa à sa place habituelle, à la droite du trône d'Elysia. Il prit son assiette et partit se servir de la viande et des légumes au buffet, avant de se rasseoir. Paul vint manger à ses côtés ; ils discutèrent pendant le repas, de l'Académie essentiellement, mais aussi d'écriture. Bien sûr, Aurélien posa de nombreuses questions sur la famille de Paul : le professeur vivait à l'Académie, et sa femme avait vécu à ses côtés jusqu'à leur divorce. Les enfants de Paul étaient déjà bien grands, et avaient grandi à l'Académie, avant de suivre l'enseignement de l'école. Ils avaient une trentaine d'année ; ainsi, Paul les voyait essentiellement durant les vacances, ou pendant certains week-ends, lorsqu'ils venaient voir leur père.

  Tout à coup, un raclement de gorge se fit entendre dans la pièce, assez fort. Une première fois, seuls quelques élèves relevèrent la tête, avant qu'une voix ne s'exclame :

  — Aurélien Courpere !

  Aurélien releva vivement la tête, surpris. Il marmonna un juron, avant de se lever. Debout au niveau de l'entrée de la salle, dont les portes en bois étaient grandes ouvertes, une femme attendait, l'air mécontente. Mains sur les hanches, petite en taille et avec un léger embonpoint, elle tapait du pied au sol, comme furieuse. De son pied gauche ; si on l'avait observée entrer, on aurait pu remarquer qu'elle boitillait, à cause de sa jambe droite.

  — C'est comme ça que tu m'accueilles ? s'écria la femme. Eh beh ! Tu étais bien plus aimable quand tu étais jeune !

  — Mais qu'est-ce que tu fais là ? demanda Aurélien se mettant debout.

  Paul aussi s'était mis debout en hâte. Ils observaient tous deux la femme, les yeux écarquillés. Les élèves présents regardaient successivement la femme et les deux professeurs ; la bouche d'Aurélien était à deux doigts de s'échouer sur la table tant il était choqué.

  — Mais tu n'es pas morte ? s'exclama Paul, avant de placer une main sur sa bouche, comme surpris de l'avoir dit à voix haute.

  — Mais non ! répliqua la femme.

  Quelques élèves se mirent à rire, amusés. La femme déclara :

  — Riez, vous ! Où est Elysia ?

  Aurélien glissa une main dans sa poche pour en sortir son téléphone. Il envoya un rapide message à Elysia, marmonnant une flopée de jurons. Elysia n'allait jamais se remettre cette apparition...

L'Académie d'Écriture [TERMINE]حيث تعيش القصص. اكتشف الآن