5. Direction.

824 39 47
                                    

7 août 2019.

Pierre n'ose pas prononcer le moindre mot dans la voiture qui le ramène chez les deux sœurs. Le silence est pesant. Étouffant. Il se répand dans tout l'habitacle du véhicule. Il s'installe dans les moindres recoins et surtout dans leurs esprits. Il va même jusqu'à faire taire les bruits alentours qui ne semblent plus aussi présents. Ils ne sont plus aussi importants.

Le pilote se sent mal à l'aise. Oppressé. Il voulait profiter de son été. Se libérer. Mais dans cette situation, il a comme un poids sur ses épaules, une main invisible qui lui serre le coeur. Le trajet s'étire. Il est terriblement lent. Sans fin. Et il a l'impression que ce silence ne va jamais finir. Il emplit le vide qui existe entre les deux jeunes femmes. Il ne comprend toujours pas ce qu'il se joue ici. Il préférerait qu'elles laissent exploser cette bulle qu'il sent grandir.

Il pense aussi à fuir. Après tout, ils ne s'étaient rien promis. Seulement un petit-déjeuner. Et il veut être égoïste. Il veut penser à lui. Il a choisi de s'isoler pendant quelques jours pour cette trêve estivale. Mais la vérité, c'est que Pierre est bien incapable de se retrouver seul. Il a déjà bien assez de ses nuits interminables pour broyer du noir. Alors, se concentrer sur les problèmes des autres est une alternative alléchante qui lui permet d'oublier qu'il doit régler ses idées malsaines qu'il lui est impossible de chasser.

Il lève les yeux vers le rétroviseur. Il y croise des yeux bleus, perçants, presque transparent comme s'il pouvait y voir à travers. Pourtant, ils sont si difficiles à comprendre. Le pilote doit admettre qu'ils sont d'une beauté saisissante, mais c'est surtout leur expression qui captive son regard. Ils semblent refléter toute la tristesse et la peine qui pèsent sur son âme.

Leur profondeur révèlent un esprit tourmenté, des blessures cachées, des souvenirs douloureux. On peut y voir la détresse et la peur qui l'habitent. Mais il y réside aussi une force certaine qui lui permet de surmonter la souffrance qui y était contenue. On y lit un éclat de détermination et de courage, une lueur brillante qui les rend magnétiques. Cela attire irrésistiblement le regard de Pierre qui souhaite, sans savoir vraiment pourquoi, percer leur mystère.

Il ne peut s'empêcher d'être touché par ces yeux bleus, remplis de tant d'émotions. Ils sont comme une fenêtre sur l'âme, révélant les tourments et les peines, mais aussi les espoirs et les rêves de celle qui les porte. Asha est calme. Assise sur le siège avant. Son expression cachant une certaine distance, un retrait qui empêche les autres de la connaître complètement. Ses mains posées sur ses cuisses. Les poings fermés. Tout son corps crispé.

Elle est perdue dans ses pensées. Sa soeur lui a tout de suite reproché d'avoir répondu à l'appel du châtain alors que sa blessure était superficielle. Mais comme à chaque fois, elle encaisse. Elle n'a pas le tempérament pour affronter son aînée. Elle s'est toujours effacée face à elle et cette situation s'est instaurée peu à peu pour finir par ressembler à la normalité. Cette routine quotidienne s'est insinuée dans son comportement, insidieusement, contrôlant le moindre de ses faits et gestes.

Mais jamais elle n'a eu la force de la remettre en question. Et cette habitude a fini par prendre le dessus, parasitant sa conscience et sa lucidité, broyant sa volonté. Elle a peur de briser ce qu'elle partage avec sa soeur. Quoique ce soit, d'ailleurs. Même si c'est toxique. Même si ça fait mal. Parce que Cléo est son seul lien avec l'extérieur. Son seul intermédiaire avec le le monde qu'elle fuit pourtant désespérément.

Son aînée est assise à l'arrière, aux côtés de Pierre. Asha n'ose même pas croiser son regard parce qu'elle sait que ses yeux bleus sont ombragés. Une émotion que elle est bien incapable de dégager. Mais elle sait que Cléo est en colère d'être sur la touche pour les semaines à cause de sa blessure. Elle ne pourra pas profiter de l'océan et de ses vagues. Le surf, c'est terminé. Parce que sa cicatrice pourrait s'infecter. Il va falloir qu'elle trouve une autre manière de se dépenser. D'assouvir son besoin de liberté. Sinon, elle sera invivable. Et c'est sa soeur qui en fera les frais.

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now