13. Origine.

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10 août 2019.

Pierre jette un coup d'œil à la montre à son poignet. Il est en retard. Il a manqué le petit-déjeuner. Il sait qu'il va trouver une Cléo contrariée, sans doute un brin énervée. Il s'apprête à passer le portail pour l'affronter. Pour la rassurer. Et aussi, pour s'en détacher bien qu'il aurait préféré rester.

Il prend une grande inspiration, levant les yeux au ciel pour essayer de refouler ses larmes qui, sur ses joues, menacent de couler. Il essaye de chasser de son esprit toute cette négativité qui l'envahit depuis que le téléphone a sonné.

Ce matin, Helmut Marko et Christian Hörner lui ont appris que sa saison chez Redbull était terminée. Le jeune pilote avait donc bien raison de s'inquiéter. L'annonce venait de tomber et n'appelait aucune discussion. Aucune négociation.

Pendant un long moment, Pierre était resté sans voix. Sans la moindre réaction. Son corps tendu. L'impression d'avoir été trahi. Il avait travaillé si dur pour prouver qu'il méritait sa place. Et on venait de lui enlever cette chance. Il avait expliqué ce qui ne lui allait pas dans le fonctionnement de la voiture. En vain. Il n'avait pas été écouté. Son destin était en fait scellé depuis cet accident en février dernier.

Il était alors parti courir. Il avait ce besoin de faire transpirer sa rage. De la chasser de ses pensées. Il s'y attelait. A chaque foulée. Il était désemparé. Il trouvait cette décision injuste. Infondée. On ne lui avait simplement pas laisser le temps de s'adapter.

Le normand se mure dans son silence. Il n'a encore appelé personne. La honte d'avoir échoué s'infiltre dans son cerveau. Il pense à tous les sacrifices auxquels ses parents et ses frères ont consenti pour qu'il atteigne ce niveau. Pierre se persuade être une déception.

Il se décide finalement à contourner la maison une dernière fois. Il tombe nez-à-nez avec la brune plus âgée. Elle est attablée sur la terrasse. Elle lève le regard pour le juger. Lui ne peut atteindre ses yeux bleus perçants à travers ses verres noirs traités pour les ultraviolets.

« Tu ne m'as pas oubliée ? Murmure-t-elle en ôtant ses lunettes de soleil épaisses. »

Le pilote est surpris. Cléo ne semble pas en colère. Elle a juste besoin d'être rassurée. C'est une âme en peine qui tente de se protéger. Elle n'a pourtant pas peur de mettre son corps en danger. Mais les blessures invisibles sont sans doute plus dures à encaisser et à soigner.

Derrière son indépendance, Pierre ne peut pas deviner qu'elle a cette peur irrationnelle d'être abandonnée. Et aussi de se retrouver seule. Tout comme lui.

« Je suis désolé, j'avais quelques trucs à régler. »

Il parle là de ses plans pour l'été qui ont été bouleversés. Il va devoir regagner l'usine de l'écurie italienne pour préparer la fin de la saison. La pause, pour lui, est terminée.

« Il n'est pas trop tard pour bruncher ? Propose-t-il.

- Avec plaisir, sourit-elle. Mais rien n'est prêt. Il va falloir cuisiner.

- Ça ne doit pas être bien compliqué. »

Elle hausse les épaules. Une guerre s'enclenche et fait rage au sein de son cerveau. Être honnête et dire la vérité. Ou s'enfoncer un peu plus dans ce fantasme qu'elle a créé, simplement pour se faire apprécier.

« Je veux bien essayer... Mais je ne sais pas ce que ça va donner. »

Pierre veut répliquer. Mais il fixe ses yeux clairs et elle baisse le regard. Il comprend alors que les petits-déjeuners qu'il a dégustés ne sont pas l'œuvre de Cléo. Mais bien de Asha. Il ne veut pas polémiquer alors il tend simplement ses mains à la brune pour l'aider à se lever.

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now