REMÈDE - PIERRE GASLY

22. Échapper.

1er décembre.

L'eau ruisselle sur sa peau et vient se mêler aux larmes que Pierre est fatigué de retenir. Il espère que ses pensées sombres pourront quitter son esprit en même temps que le liquide qui s'écoule dans le siphon.

C'est une saison difficile qui s'achève et il avait à coeur de la terminer d'une toute autre manière. Il est déçu par son résultat, ici à Abu Dabi. Mais il sait qu'il doit vite oublier ses échecs. Demain, commencent les premiers essais pour préparer l'année prochaine. Mais là encore, le pilote n'a en bouche, qu'un goût amer. Il ne remontera dans la monoplace qui lui permettra de toucher un peu plus son rêve du doigt.

Il quitte la source brûlante et s'enveloppe dans une épaisse serviette. Il fixe son reflet déformé par la buée qui s'est déposée sur le miroir. La normand passe maladroitement une main sur la glace pour apercevoir son visage. Il lisse ses cernes de ses index. Il est fatigué. Il n'a plus d'autre choix que de se reposer. Mais Pierre ne sait comment faire. Il a cette ombre qui plane au dessus de lui. Ce doute que s'il se laisse aller, il finisse par chuter, sans s'arrêter. Et qu'il ne puisse plus se relever.

Les vibrations de son téléphone le sortent brutalement de sa rêverie. Il fronce les sourcils en voyant le nom s'afficher. Cléo. Il laisse sonner. Elle lui a déjà envoyé de nombreux messages pour commenter sa course et se montrer impressionnée. Il ne trouve pas la force de lui répondre qu'il est loin d'être satisfait. Il n'a pas atteint l'objectif fixé. Et pourtant, ses regrets ne semblent pas être une priorité pour la brune.

Le pilote avale difficilement sa salive. Ce jeu n'a que trop duré. Il n'a pas été honnête. Ni avec elle. Ni avec lui-même. Il lui a laissé son numéro, avec pour simple espoir de s'assurer qu'il n'avait pas contribué à plonger à nouveau Asha dans le noir. Mais rien n'a fonctionné comme il le prévoyait. Il s'est alors réfugié dans l'intérêt que Cléo semble lui porter. Foutu égo qui a besoin d'être valorisé.

Et pourtant, au fil de la discussion, Pierre a compris que ce n'était pas vraiment à sa personnalité qu'elle s'intéressait. Elle est simplement fascinée par la vie un peu trop belle qu'il mène, et les risques un peu trop grands qu'il prend, repoussant sans cesse des limites infranchissables pour la plupart des humains.

En se l'avouant, son esprit n'en est qu'un peu plus meurtri. Mais arrêter de jouer est une nécessité. Il appuie sur une succession de touches pour bloquer ce numéro qui ne fait que le harceler. Il se désole de la lâcheté dont il fait preuve. Mais il n'a pas la force de l'affronter. Il a besoin de respirer. Au moins pour la soirée.

Il jette un coup d'oeil à sa montre pour constater que son meilleur ami doit sûrement s'impatienter en l'attendant. Alors, il s'empresse de descendre les escaliers et après l'avoir repéré, Pierre s'engouffre dans la voiture d'un rouge flamboyant. C'est l'une des premières fois qu'il insiste pour ne pas prendre le volant. Il se laisse guider alors que Charles le conduit dans la boîte réservée pour la soirée. Ses yeux se perdent à l'horizon. Les buildings défilent sans capter son regard trahissant la lassitude dont il n'arrive pas à se défaire depuis quelques mois. Impossible de savoir quand ce sentiment a vraiment commencé à s'insinuer dans son esprit.

« Alors, prêt à faire la fête calamar ? La bonne humeur du monégasque le sort de sa rêverie.

- On fête quoi ? demande-t-il dans un souffle.

- La saison de nos premiers podiums en F1 ! s'exclame-t-il. »

Le châtain se contente de hocher la tête. Il n'a pas le coeur à célébrer cette fin d'année. Des pensées contradictoires l'envahissent. L'envie irrépressible d'y mettre un terme au plus vite, avec l'espoir de tirer un trait sur ce calvaire qui semble ne jamais s'arrêter. Et puis, il y a ce souhait de ne jamais tourner la page. De pouvoir s'accrocher aux derniers souvenirs heureux, de se les repasser en boucle pour être bien certain de les garder en mémoire et ne jamais les oublier.