38. Sombrer.

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25 janvier 2020.

La gare de Milan grouille de monde en cette fin de journée. Les voyageurs se pressent pour rejoindre leurs trains et s'éloigner du stress oppressant de la métropole de la région lombarde. D'autres arrivent et se hâtent pour regagner l'endroit où ils sont attendus.

Pierre se hisse sur la pointe de ses pieds. Il ne veut pas la laisser passer. Il imagine à quel point il est difficile pour elle de fendre cette foule infinie. Le trajet depuis le sud de la France a été compliqué. Prendre l'avion aurait été sûrement bien plus simple, mais son échec encore frais l'empêchait d'y penser.

Elle s'était donc résolue à prendre les voies ferrées et à effectuer un changement entre deux gares de la capitale française. Compréhensif, le pilote était resté au téléphone avec elle tout du long, ne cessant du lui parler et de compter avec elle pour qu'elle reprenne son souffle saccadé.

Il se tient au bout du quai passant de visage en visage à la recherche de sa chevelure de jais. Et la cadence de son cœur ne fait qu'augmenter alors qu'il avance à contre courant du flux des passagers. Le train se vide et Pierre panique. Il n'y comprend rien. Il sort son téléphone pour vérifier qu'il n'a ni commis d'erreur sur l'horaire d'arrivée, ni laissé passer un appel.

Et alors qu'il lève la tête de son écran en jurant, le normand aperçoit enfin Asha, seule, au milieu de la foule pressée. Il remarque tout de suite que ses doigts sont crispés autour de la poignée de sa valise, un geste qui blanchit ses jointures. De l'autre main, elle compte sans s'arrêter, les yeux fermés. Elle tente de s'apaiser.

Le jeune homme s'élance à grandes enjambées dans le cortège. Il peut sentir l'acidité de la bile qui coule dans son œsophage. Une conséquence de la culpabilité qu'il ressent d'avoir proposé cette idée aussi stupide. Il aurait dû rester sur cette volonté de lui laisser de l'espace pour s'épanouir.

Mais la vérité, c'est que si Pierre a profondément aidé Asha, il a aussi terriblement besoin d'elle. De son grain d'innocence. De sa simplicité enfantine. De son recul. De sa mesure. Et de sa capacité à considérer que des problèmes sont bien loin d'en être.

Il chasse toutes ses pensées. C'est bien trop tard pour regretter. Il pose ses mains fermes sur les épaules frêles de la jeune femme. Son geste est délicat pour éviter de l'effrayer. Ses doigts viennent habilement se placer sous son menton pour que leurs regards bleutés puissent entrer en contact. Pour que, dans ses yeux, elle puisse trouver ancrage.

Le pilote décèle quelques larmes dans ses pupilles brillantes et il s'empresse de la tirer contre son torse. Il la serre tout contre lui. Bien fort. Et pourtant, elle peut enfin respirer correctement. Elle inspire son parfum qui lui semble être synonyme de sécurité.

Elle a encore besoin de quelqu'un. Elle a encore besoin de lui. Et égoïstement, Pierre est rassuré à cette idée. Il ne peut pas expliquer la bataille que son esprit livre dans sa tête. Il veut l'aider. Mais il ne veut pas qu'elle vienne à l'oublier.

Il sent les membres de Asha se détendre mais ils ne cessent jamais de trembler. Alors il se saisit de son bagage et enroule les épaules de la brune de son bras libre. Il la guide doucement à travers la foule, faisant rempart de son corps pour la protéger de l'effervescence qui règne dans la gare italienne.

Et ce n'est que lorsqu'ils sont installés dans la Honda qui file à travers les rues milanaises que la jeune femme trouve le courage de le détailler. Sa barbe a poussé. Ses joues sont moins creusées. Ses traits semblent reposés. Il a dû profiter de la trêve pour se ressourcer. Elle détaille ses yeux azurs concentrés sur la route et détourne le regard dès qu'il porte le sien sur elle. La brune est toujours aussi gênée d'être prise sur le fait. Ses joues rougissent et Pierre sourit.

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now