17. Paralyser.

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15 novembre 2019.

Asha est debout, face à la baie vitrée. Son regard se perd dans le ciel où le temps gronde. La météo, aujourd'hui, est capricieuse. Sans avoir crié gare, les nuages noirs s'amoncellent dans l'atmosphère, poussés par ces jours de grand vent. Ils se font menaçants et montrent leur force qui a l'air capable de tout emporter sur son passage. La brune voit les arbres se plier sous la puissance du vent mais elle ne peut qu'imaginer les vagues déferlant avec fracas sur la plage.

C'est seulement un tableau dans sa tête qu'elle ne peut pas constater par elle-même. Parce qu'elle est toujours retenue par cette peur irrationnelle de mettre un pied hors de chez elle. Elle se contente alors simplement de regarder, fascinée, une partie du spectacle offert par la nature. L'intempérie est passée. Tout est calme et humide, mais l'orage au loin, ne fait que gronder.

L'accalmie laisse place à quelques éclaircies à travers lesquelles les rayons du soleil parviennent à se frayer un chemin. Ils illuminent tout sur leur passage, créant cette onde d'espoir à laquelle on veut désespérément s'accrocher pour y croire. Mais pour la jeune fille, cette beauté ne fait que la paralyser. Elle est tétanisée. Elle ne peut s'empêcher de penser à tous les dangers qui pourraient survenir si elle franchissait à nouveau cette frontière invisible.

Elle évite de sortir depuis ce jour d'été où elle a chuté et cru que son corps allait se briser. Alors, elle reste là, immobile. De toute façon, Asha est convaincue qu'elle n'a rien de bien important à vivre. Qu'elle n'est pas faite pour profiter des petits cadeaux que l'extérieur est prêt à lui offrir. Elle a l'impression que la tempête ne ferait d'elle qu'une bouchée. Qu'il serait facile de la déchirer, de l'emporter. Elle n'est pas constituée de ce bois qui permet aux arbres de plier. Elle n'est pas de ces grains de sable qui s'unissent pour faire barrière contre la mer. Elle est incapable de se libérer de ses chaînes.

Elle se persuade qu'elle peut s'épanouir en se plongeant dans les cours qu'elle suit par correspondance. Elle apprend. Elle nourrit son esprit. Mais depuis quelques semaines, elle se demande à quoi bon continuer ainsi. Elle vit cachée. Là, derrière cette fenêtre qui la protège de tous ces éléments qui la terrifient.

Le soleil pointe à l'horizon mais la jeune femme ne supporte pas de fixer ses rayons plus longtemps. La démarcation de verre l'empêche cependant de réchauffer son visage. Elle est frigorifiée et elle reste emmitouflée sous un large pull qui ne fait que la camoufler. Un épais jogging et de grosses chaussettes, en quête d'une once de chaleur dans l'espoir qu'elle réchauffe un peu son coeur. Sa peau est froide et elle aimerait avoir peur juste pour ressentir cette ardeur qui l'avait enveloppée alors qu'elle était confrontée à l'interdit.

Elle aimerait pouvoir mettre un pied dehors et entendre les vagues qui se fracassent sur le sable à l'horizon. Sentir la brise fraîche s'échouer sur son visage. Écouter le bruit du vent qui se fraye un chemin à travers les feuillages des arbres en chantonnant. Mais tout ça lui est refusé. Elle prive ses sens de liberté. Les nuages menaçant qui annoncent un nouvel orage à l'horizon ne sont qu'un mauvais prétexte. La vraie raison est qu'elle s'est volontairement coupée du monde.

Il y a ce mur invisible qu'elle a peur de franchir. Elle a peur de sortir, peur d'affronter ses peurs. Elle a peur de l'inconnu, peur de perdre le contrôle face à ses angoisses.

Elle a réussi à le traverser. Une fois. En étant aidée. Elle y a cru. Quelle naïveté ! Maintenant, elle a le coeur brisé. Parce que si Pierre lui a insufflé un brin de confiance en elle en lui faisant goûter ce qu'était ce sentiment de liberté, il a aussi démoli le peu qu'il avait bâti. C'est à son contact, qu'elle a pris conscience qu'elle était incapable de nouer des relations avec les autres. Parce qu'elle a l'impression de ne pas être capable de les comprendre. Après tout, à part sa soeur, elle n'a jamais côtoyé personne. Et même elle a fini par la mettre de côté.

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now