16. Éternité.

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1er septembre 2019.

Pierre a le cœur lourd en quittant le circuit de Spa-Francorchamps. Il n'arrête pas de penser à tout ce qu'il laisse derrière lui. Il a l'impression de faire un trait sur un long chapitre de sa vie.

Il est arrivé en Belgique déjà fragilisé mais avec la seule idée en tête de persévérer. Il se devait de montrer que toute cette histoire allait le renforcer. De toute façon, pour le bien de sa carrière, il n'avait pas vraiment d'autre solution que d'accepter la situation.

Ces jours précédant la reprise ont été particulièrement éprouvants. Le pilote ne s'est encore une fois pas préservé. Tout s'est intensifié depuis ce coup de téléphone qu'il a eu du mal à digérer. Il a enchaîné les réunions pour faciliter son retour au sein de l'écurie italienne. Il s'est préparé à répondre à toutes les questions qui l'attendaient.

Et en pénétrant sur le paddock, plus rien ne comptait pour lui, à part prouver à ses patrons qu'ils s'étaient trompés. La pluie de critiques qui a suivi l'annonce de sa rétrogradation n'a fait que renforcer un peu plus sa détermination. D'abord abattu, Pierre a tenu à se relever. Parce que beaucoup pensaient que jamais il ne s'en remettrait. Que c'était le signe que sa carrière était terminée. Et il ne pouvait pas aussi simplement s'y résigner.

Quelques jours avec ses proches lui ont été nécessaires pour lui permettre de raviver cette flamme qui avait commencé à brûler en lui quand il ne roulait que pour combler sa passion. Il pensait ne plus en avoir envie. Il a dû puiser au plus profond de lui pour trouver un reste d'étincelle qui ne demandait qu'à être embrasé. Pour se rappeler ce rêve de gosse pour lequel il a livré un travail acharné.

Pierre se souvenait de toutes les fois où il a voulu abandonner, où il a pensé que c'était trop difficile. Mais il a toujours trouvé la force de continuer, de persévérer, de ne jamais abandonner. C'est cette force qui allait l'aider à surmonter cette épreuve difficile. Encore une fois. Il fallait aller chercher ce mental au plus profond de lui. Cette volonté de continuer. D'avancer.

Et puis, quelques secondes ont suffi à faire basculer sa vie.

Coup du sort.

Mauvaise blague du destin.

Acharnement du hasard.

Accident.

Il n'y trouvait aucune logique là-dedans.

La peine que le normand a ressenti en apercevant la tristesse sur le visage de ses parents a bien failli étouffer à nouveau cette petite braise qu'il avait réussi à préserver au fond de lui. Parce que malgré tout l'amour qu'il pouvait vouer au sport automobile, il n'y a rien qu'il détestait plus à cet instant, que cette discipline qui venait d'arracher la vie à l'un de ses meilleurs amis.

Pierre a passé sa nuit à pleurer.

Les souvenirs affluaient. Ils s'entremêlaient dans son esprit lui laissant un goût amer en bouche pour lui rappeler que tout ça était brutalement terminé. Il tentait de graver tous ces moments dans sa mémoire. Pour qu'ils lui survivent pour l'éternité. Ces heures passées à se motiver. À croire en l'autre plus qu'en soi-même. À s'entraider. Ce casque orange bien trop rapide. Puis ce casque rose qui faisait des miracles quand il prenait le départ. Ce sourire. Cette envie de gagner. Cette rage de vaincre et d'y arriver. Tant de valeurs qui les unissaient et qu'ils partageaient.

Le normand est parvenu à s'endormir seulement parce qu'il était épuisé. Il n'est pas en capacité d'assimiler cette nouvelle réalité. Il perdait pied. Son monde tout entier s'effondrait autour de lui, et il ne savait que faire pour empêcher les ruines de s'accumuler. Il était perdu. Désemparé. Comment pourrait-il continuer à courir après tout ce qu'il s'était passé ?

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now