23. Guerrière.

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1er décembre 2019.

Les exclamations s'enchaînent en provenance du salon. Des encouragements. De l'admiration. Asha s'est enfermée dans la pièce de musique pour échapper à l'euphorie du Grand Prix que sa sœur a tenu à regarder en compagnie de leur père. Mais elle s'est vite fait rappeler à l'ordre. Le bruit de son instrument raisonnait trop fort, masquant les vibrations des moteurs.

Alors la benjamine se contente de se recroqueviller sur elle-même, ses écouteurs fermement visser sur ses oreilles. Elle a placé ses mains par dessus pour se concentrer sur la musique classique qui s'abat sur ses tympans, tant elle a monté le volume au maximum pour contrer l'exubérance dont Cléo fait preuve.

Elle ne veut pas être confrontée à la réussite de Pierre. Il a réussi à remonter dans sa monoplace malgré toutes les difficultés qu'il a pu traverser. Il est plus courageux qu'elle ne le sera jamais. Elle ne veut pas le voir rouler à pleine vitesse. Ça ne ferait que la renvoyer à cette peur qu'elle est incapable de surmonter.

Sa playlist vient de se terminer. D'une main hésitante, elle ôte son casque pour écouter ce qu'il se passe au rez-de-chaussée. Le silence semble emplir la maison et Asha à la sensation qu'elle peut enfin respirer. Épuisée à force de lutter contre le bruit qu'elle ne pouvait supporter, elle traîne les pieds en descendant les escaliers.

Elle constate que sa sœur est encore figée devant la télé. Leur père, lui, a déserté. La plus jeune se faufile dans la cuisine pour se servir un verre et refait le chemin inverse, heureuse d'être libérée de toute contrainte. Elle va pouvoir enfin jouer et se défouler.

Mais alors qu'elle traverse le salon tête baissée pour ne pas se faire remarquer, elle ne peut s'empêcher de jeter un regard vers l'écran dont le son est coupé. Elle croise des yeux d'un bleu profond dans lesquels elle ne décèle que tourments et affliction. La brune reconnaît cette détresse. Elle l'a déjà vue dans ses iris lorsqu'il lui a annoncé sa rétrogradation.

Le soupir de Cléo la ramène à l'instant présent. Elle exprime son mécontentement alors que l'appel qu'elle souhaite passer n'a pas abouti.

« Il ne me répond pas, explique l'aînée dans un souffle pour justifier sa mauvaise humeur.

- Il ne peut sûrement pas, s'il est devant une caméra. »

Pour toute réponse, elle hausse les épaules. Asha reconnaît bien là, l'éternelle impatience de sa grande sœur qui ne supporte pas qu'on lui refuse ce qu'elle a simplement décidé d'obtenir.

« C'est terminé ? Demande finalement la benjamine alors que Cléo lève un sourcil pour souligner l'évidence.

- Je veux le féliciter, c'était sa dernière course. »

La musicienne fixe les noms qui défilent en bas de l'écran. Celui du français apparaît bien loin de ce qu'elle espérait en entendant les mots de sa grande sœur. Et elle comprend pourquoi il arbore ce regard fuyant. Il est déçu de sa performance, espérant sûrement mieux pour terminer cette saison difficile.

Elle ne savait pas quoi lui dire lorsqu'il lui a confié son secret. Il a partagé sa détresse avec elle et la jeune fille n'a pas su le consoler. Si sa réaction n'était pas la bonne, elle est persuadée que Pierre ne veut pas plus écouter les louanges que Cléo ne fait que chanter à son propos.

Asha soupire en se laissant tomber sur le tabouret de la pièce de musique. Elle croyait que le normand était fait d'un roc qui ne se brise jamais. Elle croyait que rien ne pouvait l'empêcher de se détourner du but qu'il s'est fixé. Que le chemin qu'il a emprunté pour atteindre joie et félicité ne faisait que monter pour tutoyer les sommets.

REMÈDE - PIERRE GASLYWhere stories live. Discover now