Chapitre 2

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SÉLÉNÉ

Adossée à la fenêtre de ma chambre, j'admire les rayons blanchâtres de la pleine lune qui se reflètent à travers les vitres, révélant une partie de ma chambre sous sa lueur maladive. On toque à la porte.

— Mademoiselle Séléné, vous êtes prête ? Le repas est servi dans le jardin.

Je souris, heureuse de quitter cette pièce qui renferme mon mal-être. Je virevolte jusqu'à la porte et l'ouvre avec élan.

Tania, ma domestique, me regarde, la joie transparaît dans ses rétines.

— Allez, venez ! Vous allez adorer ce que le Chef a concocté pour vous. J'ai moi-même sélectionné le dessert.

J'en salive d'avance.

Je me glisse à ses côtés, dans le couloir sombre de l'édifice, puis nous descendons l'escalier en bois qui craque sous nos pas. Je n'ai même pas pris le temps de prendre une veste, seule ma robe blanche au décolleté sage me drape telle une déesse grecque. Rien d'autre.

À chaque pleine lune, Tania organise un repas en extérieur. Rien que la nature et moi, tels des amoureux dans un restaurant raffiné. J'adore ces moments, je peux souffler, admirer le jardin et ses pommiers, et voir ce qu'il y a dans mon assiette grâce à la lueur de la lune pleine, ma véritable et seule amie. Je ne m'en lasse jamais de ce repas loin de la maladie qui me ronge le corps et l'esprit.

Je suis une enfant de la lune.

En termes plus savants, je suis atteinte de Xeroderma pigmentosum. Ma peau ne peut en aucun cas être exposée au soleil, au risque de provoquer des cancers cutanés. Les rayons UV peuvent aussi me rendre aveugle. C'est pour cela que l'on nous surnomme de cette manière, parce que nous sommes condamnés à vivre la nuit. Même si la recherche médicale progresse, il n'existe pour l'instant aucun traitement pour soigner cette maladie. Je me contente de prendre des médicaments en guise de prévention, et le dermatologue vient me rendre visite tous les trois mois pour détecter le moindre signe de cancer sur ma peau blanche.

Mes parents se sont vite rendu compte de ma maladie. À l'âge de trois ans, des rougeurs inquiétantes ont commencé à apparaître sur le derme, puis des conjonctivites à répétition. Le médecin de famille a émis l'hypothèse de la Xeroderma, mais pour être sûrs de son diagnostic, mes parents et moi avons passé des tests génétiques. Le résultat était sans appel, mes parents avaient chacun le gène récessif, et comme c'est héréditaire, j'ai eu la chance de récupérer les deux qui se sont activés. Mes parents sont des porteurs sains, pas moi.

À partir de ce moment, ma vie s'est transformée. On m'a retiré de l'école maternelle, j'ai eu droit à un précepteur à la maison, et surtout je n'avais plus le droit de sortir la journée. Mes parents ont installé des filtres anti-UV sur les vitres de chaque pièce du manoir, pour eux ce n'était pas suffisant, j'ai donc eu le droit à des rideaux occultant le moindre rayon solaire, me condamnant à vivre dans l'obscurité. J'ai plusieurs fois essayé de tirer le tissu lourd de ma chambre, mais avec ma force de petite fille, je n'ai réussi qu'une fois à admirer le soleil à travers la fenêtre. Ma mère est entrée en catastrophe, m'a hurlé dessus en m'éloignant du jour. Elle m'a ensuite passé un savon de tous les diables, me faisant culpabiliser. Après ça, j'ai mis des années avant de tenter d'ouvrir à nouveau les rideaux, traumatisée par les cris paniqués de ma mère. Mais depuis quelques mois, je sens un changement fort en moi, comme si à 19 ans, je devenais une adulte et je pouvais prendre mes propres décisions. J'ai laissé les rideaux épais devant mes fenêtres, mais je sais que maintenant, j'ai le droit de les tirer si j'ai envie d'admirer les premières lueurs de l'aube, sans que mes parents n'aient rien à redire. Après tout, ils ne sont plus vraiment là pour vérifier ce que je fais, préférant me laisser aux bons soins de l'équipe de domestiques qui occupe ce manoir.

Lune de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant