Chapitre 15

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SÉLÉNÉ

Je ne suis finalement pas restée longtemps dans ma chambre, je l'attends dans la sienne. J'avais besoin de le voir, de m'excuser pour mon comportement de ce soir. Luke a été si gentil avec moi et j'ai joué au boudin telle une enfant capricieuse. Je ne suis pas fière de moi, et même si l'alcool n'a pas dû arranger mon état, je ne peux pas me servir de cette excuse pour me dédouaner.

Le vent souffle encore plus fort que lors de notre escapade. Il doit être deux heures du matin, et le temps ne se calme pas. Un peu comme l'ouragan qui fait rage en moi.

Au moment où je pense que Luke s'est fait virer sans avoir l'opportunité de ramasser ses affaires, la lumière de lampe de chevet vacille puis s'éteint.

Mince, les plombs ont dû sauter.

Cela arrive souvent lorsque l'hiver commence. La bâtisse est assez vieille, et parfois le réseau électrique fait des siennes par temps de grands vents. Le groupe électrogène devrait prendre le relai bientôt.

Toujours dans la chambre de Luke, je laisse la nuit m'envelopper. Je m'avance, les mains devant moi, pour ne pas trébucher, et mes genoux butent sur le bord du lit. J'essaye de m'orienter, en projetant la pièce dans mon esprit. Si je contourne le lit, je devrais tomber sur le bureau, à gauche.

Enfin, je crois, pensé-je.

Soudain la porte s'ouvre et se referme, j'ai à peine le temps de comprendre ce qu'il se passe qu'un corps me pousse. J'entends un bref grognement puis je tombe sur le lit emportée par le poids de l'inconnu sur moi.

La poitrine un peu douloureuse à cause de l'impact, je grimace et gémis.

— Séléné ? entends-je dans un souffle.

Je suis rassurée de reconnaître la voix de Luke. Pendant un instant, j'ai eu peur que le diable soit entré dans la pièce.

— Vous allez bien ? m'interroge-t-il inquiet.

Sa main se pose sur ma joue, et la sensation de sa peau contre la mienne, déclenche un frisson.

Je me remémore alors mon dernier petit écart dans la bibliothèque, il y a quelques nuits. Son regard sur moi. Ses bras puissants qui se retenaient au chambranle de la porte. Ma culotte s'humidifie à ce souvenir.

Je n'ai plus de voix, la gorge sèche, je peine à déglutir. Là, dans le noir, l'objet de mes fantasmes me surplombe de son aura.

Sa main qui est toujours sur mon visage, et de laquelle se dégage une chaleur presque irritante, me donne envie qu'il la descende, plus bas.

Beaucoup plus bas.

J'en gémis d'impatience.

En réponse, son corps se crispe et je le sens lâcher un hâle torturé. Sa masse s'effondre encore plus sur moi, entre mes jambes. Et mon cœur palpite.

Je veux qu'il m'embrasse.

Maintenant.

Dans un état second, je lève le visage vers le sien, en tout cas je le suppose au souffle d'air que je sens sur ma bouche frémissante. Je l'entrouvre lorsque son pouce glisse sur ma lèvre inférieure, dans l'attente de la sienne. Mes jambes tremblent de désir, mon entrecuisse pulse, voulant ses doigts. Une texture douce frôle ma lippe, m'effleure, joueuse.

Je m'apprête à plaquer mes lèvres sur les siennes, trop frustrée de ce frôlement insuffisant, lorsque la lumière fuse dans la pièce. Je sursaute, et constate que Luke est à un cheveu de moi, son corps collé au mien. Plus aucun centimètre ne nous sépare. D'un coup, il se relève en s'éloignant de moi. Je le vois reculer contre la porte, les yeux ronds, le souffle encore erratique. Sous le choc, je reste étendue, essayant de calmer les battements de mon cœur.

— Que faites-vous dans ma chambre ?

Je me relève, aussi prestement que possible, et l'affronte du regard. Son visage est fermé, ses prunelles glaciales, et son corps est en alerte. Je sais ce que cela veut dire : il regrette.

Et moi, je souffre de ce rejet.

— Je suis venue vérifier que vous alliez bien. Je m'inquiétais.

Luke baisse la tête vers le sol, et passe une main tremblante dans sa chevelure.

— Vous n'auriez pas dû. Je ne suis pas un ami, je suis votre employé et ce n'est pas correct d'être ici, dans cette pièce avec moi.

Ses paroles me font l'effet d'une gifle.

Pourtant il a raison, j'ai dépassé les limites, je ne suis pas censée ressentir du désir ou de l'envie lorsque je regarde mon infirmier. Le problème, c'est que je n'arrive pas à freiner mon cœur qui palpite en sa présence. Il m'a fait entrevoir un autre chemin ce soir, une route vers l'affranchissement de ma condition, et je crois que je ne suis pas capable d'oublier ça. Alors je me raccroche à ce rocher, ce roc qui me montre que la vie vaut la peine d'être vécue, même si cela transparaît au travers de petits actes comme prendre un verre dans un bar sous la Voie lactée. Chaque seconde compte loin de cette maudite maison.

— Je ne voulais pas vous surprendre, et veuillez m'excuser si ma présence vous incommode. Quoi qu'il en soit, je souhaitais vous remercier pour ce soir, j'ai pris beaucoup de plaisir à être en votre compagnie. Je vous laisse tranquille, terminé-je en avançant vers la porte.

En passant à côté de lui, je l'entends prendre une grande inspiration comme s'il respirait mon parfum, telle une drogue à laquelle il tentait de résister.

Ma main abaisse la poignée lorsque ses doigts se referment sur mon bras.

— Je ne suis pas irréprochable, Séléné. Ne vous fiez pas à mon métier, je n'ai jamais prétendu être un homme parfait. J'ai commis des erreurs et je risque d'en faire encore. Ne voyez pas en moi votre sauveur. Ce n'est pas le cas. Je ne suis là que pour vous faciliter un peu votre quotidien, rien de plus, m'avoue-t-il en m'obligeant à lui faire face.

Ses doigts me brûlent la peau, il me couvre du regard et dans ses iris, j'y vois de la fierté et de la frustration.

D'une manière ou d'une autre, il ne veut pas gâcher notre relation professionnelle, alors il se retient pour ne pas pénétrer dans une zone trop dangereuse.

En cet instant, j'admire encore plus cet homme. Il est fort, courageux et intègre. Comment peut-il ignorer sa bonté d'âme ? Je la devine à des kilomètres, cette aura qui brille de mille nuances de couleurs. C'est un homme bon. Et je m'interroge sur ce qui a pu le pousser à avoir une si mauvaise opinion de lui-même.

Luke poursuit :

— Vous êtes une femme libre, n'en doutez jamais et si vous avez besoin d'envoyer chier le monde entier, faites-le. Et cette recommandation s'applique aussi à moi. Pensez par vous-même, vous êtes une humaine, pas un jouet. Bonne nuit, Séléné, termine-t-il dans un souffle.

Il s'éloigne de moi, et je sors de la pièce en ressassant ses propos. De tels mots ne peuvent être ignorés, et ils résonnent jusque dans mon cœur. Je ne sais pas par quel tour de force a-t-il compris le mal qui m'habite au plus profond de moi, mais ce soir j'ai compris une chose.

Je ne suis plus seule.

Quelqu'un est là auprès de moi.

Il me voit.

Et quand bien même il ne se définit pas comme un héros, ce soir il est le mien. Et demain, ce sera à mon tour de le sauver de ses démons qui semblent grignoter la moindre parcelle de son âme.

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Je vous love,

MCL.

Lune de sangWhere stories live. Discover now