Chapitre 4

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SÉLÉNÉ

Tania m'avait prévenu de son arrivée aujourd'hui. La nouvelle recrue débarquait ce soir, récupérée à l'aéroport par son mari, Simon.

Je sais que je n'aurais pas dû me trouver là, devant la porte d'entrée alors que le jour n'était pas totalement couché, mais j'étais trop curieuse de voir ce nouveau venu. Beaucoup de soignants se sont succédé au cours de ces quatre dernières années, date fatidique du départ de mes parents. Tania ne pouvait plus gérer l'intendance du domaine et s'occuper de moi. Simon est âgé, il a besoin de déléguer plus souvent à sa femme les menus travaux que requiert la demeure. Plusieurs infirmières – oui, toutes des femmes – n'ont fait que passer dans cette maison. Parfois, certaines tenaient plusieurs mois, d'autres à peine deux semaines. La dernière, Emilia, a perdu l'équilibre dans l'escalier principal, et a été hospitalisée d'urgence. Je me souviens encore de son cri terrifiant lors de sa chute. J'étais dans ma chambre, mais le son s'est répercuté sur chaque mur de la bâtisse.

L'agence qui faisait l'intermédiaire entre Tania et les nouveaux embauchés a rompu le contrat, découragée par les départs précipités. C'est donc mon intendante qui a pris la main sur le recrutement.

Je n'ai jamais vraiment compris la raison de la fuite hâtive des soignantes, j'imagine que l'environnement en vase clos peut être effrayant pour de nombreuses personnes. L'ambiance sombre du manoir peut aussi déconcerter, surtout que des phénomènes étranges ont lieu dans cet endroit. Je n'y prête plus attention, mais ce n'était pas le cas des anciennes employées.

Je n'ai pas obtenu beaucoup d'informations concernant le nouvel infirmier. En tout cas, c'est un homme, il s'agit d'une première, et j'ai appris qu'il avait été choisi pour sa disponibilité immédiate. C'est vrai qu'après la blessure d'Emilia – une jambe brisée –, le caractère urgent de la situation n'a pas laissé grand choix à Tania.

En l'absence de mes parents, je me sens encore plus seule ici. Je suis donc enchantée de rencontrer d'autres personnes pour remédier à cette solitude qui me pèse malgré toute l'équipe d'intendance du manoir. C'est différent, eux me connaissent depuis mon enfance, je suis habituée à leur présence, il n'y a pas vraiment de nouveauté lorsque vous côtoyez les mêmes personnes depuis des années. Alors que ce monsieur Amstrall, est un inconnu.

C'est comme vivre une nouvelle aventure, je suis impatiente de le connaître. Lorsque le bruit du heurtoir retentit, je me précipite vers la porte et ouvre avant que Tania ne m'en empêche. Je tombe sur un jeune homme à peine plus âgé que moi.

Mince, qu'il est attirant.

Je le caresse du regard, de ses cheveux hirsutes châtains à sa veste en cuir bien trop légère pour notre climat, son jean brut, ses baskets grenat. Il est magnifique, tel un héros de romance. Mon cœur s'emballe et ma voix se fait la malle. Seuls mes yeux admirent la beauté sculpturale en face de moi : son visage harmonieux, son nez légèrement déformé, sa mâchoire anguleuse où je distingue une légère cicatrice sur l'os, et ses lèvres ourlées. Sans parler de la couleur de sa peau qui contraste avec la blancheur de la mienne.

C'est le toussotement de Tania qui me ramène dans la réalité.

— Monsieur Amstrall, enchanté, entrez, l'invite-t-elle.

Il passe l'embrasure de la porte et je reste là, la bouche ouverte, la main toujours sur la poignée, le suivant du regard.

Est-il vraiment réel ou est-ce une pure invention de mon esprit ?

— Bonsoir, vous devez être Madame Jasper, annonce-t-il à Tania.

Ma domestique et amie rit derrière sa main.

Lune de sangWhere stories live. Discover now